- ziel
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Re: Falbala et Croatie
Dim 11 Oct 2020 - 23:07
je regarde, je regarde, je regarde et je les vois devant, au lointain, perdu dans leur immensité. elles sont là, figures oscillant lentement dans le brouillard. Leurs silhouette peinent à se détacher de cet atmosphère tordu, l’air est lourd, un orage approche ? je zieute aux alentours et c’est toujours la même sensation qui empli mon crâne. les ombres grossissent et se rapprochent, bientôt l’obscurité sera totale. Ce n’est pas plus mal, je vais en profiter pour regarder leurs étoiles.
après je sais pas trop, je suis peut être myope.
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- Leer
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Re: Falbala et Croatie
Dim 11 Oct 2020 - 23:21
Aindreas s'adossa au fond de sa chaise. Sans son manteau, il étalait un arc-en-ciel encore plus marquant. « Vous avez de la vodka cerise ? »
Le serveur lui retourna un regard torve. « Non. »
« Alors, un coca, ça ira bien. » Il se retourna pendant que le serveur s'éloignait et me confia : « C'est une fille ou un garçon tu crois ?
- Aucune idée. »
Aindreas prit le temps de vérifier sa tenue et d'ajuster la jupe qui s'insérait en un lieu indélicat. Il formait basiquement un tourbillon humain, entre les épaulettes vertes formées par une sorte de gilet miteux, le foulard jaune et orange (avec motifs bleus), la jupe fuschia et ses frivolités, plus Dieu sait combien d'autres épaisseurs et accessoires portant parfois de la dentelle, sa silhouette n'avait aucune forme définie et faisait un peu mal aux yeux. Ajoutez les cheveux roux mi-longs (mal coiffés ce jour-là, il avait couru) et le vernis à ongles coloré. Si vous n'êtes pas encore tout à fait aveuglé par ce micmac, vous remarquerez qu'Aindreas a également les yeux brillants et un sourire radieux. Oui, ça donne envie de fermer les yeux. Mais, ce qui permet de se reposer c'est de regarder sa peau, qui est calmement blanche et semble résonner avec son caractère d'océan quand il s'assied. Quand iel se sent fille ça lui prête même une sorte de grâce, divine façon Diane. Son attitude change légèrement tout au long de la journée. L'humeur d'Aindreas bouge et glisse constamment comme un ciel nuageux, mais ma préférée, c'est quand iel se calme deux minutes.
Le serveur lui retourna un regard torve. « Non. »
« Alors, un coca, ça ira bien. » Il se retourna pendant que le serveur s'éloignait et me confia : « C'est une fille ou un garçon tu crois ?
- Aucune idée. »
Aindreas prit le temps de vérifier sa tenue et d'ajuster la jupe qui s'insérait en un lieu indélicat. Il formait basiquement un tourbillon humain, entre les épaulettes vertes formées par une sorte de gilet miteux, le foulard jaune et orange (avec motifs bleus), la jupe fuschia et ses frivolités, plus Dieu sait combien d'autres épaisseurs et accessoires portant parfois de la dentelle, sa silhouette n'avait aucune forme définie et faisait un peu mal aux yeux. Ajoutez les cheveux roux mi-longs (mal coiffés ce jour-là, il avait couru) et le vernis à ongles coloré. Si vous n'êtes pas encore tout à fait aveuglé par ce micmac, vous remarquerez qu'Aindreas a également les yeux brillants et un sourire radieux. Oui, ça donne envie de fermer les yeux. Mais, ce qui permet de se reposer c'est de regarder sa peau, qui est calmement blanche et semble résonner avec son caractère d'océan quand il s'assied. Quand iel se sent fille ça lui prête même une sorte de grâce, divine façon Diane. Son attitude change légèrement tout au long de la journée. L'humeur d'Aindreas bouge et glisse constamment comme un ciel nuageux, mais ma préférée, c'est quand iel se calme deux minutes.
- Silver Phoenix
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Age : 26
Re: Falbala et Croatie
Dim 11 Oct 2020 - 23:24
Dans les ténèbres nocturnes, Flora marche paisiblement, claquant doucement ses massives bottines sur l'asphalte. Il fait froid en cette nuit digne d'une fin de novembre. Elle peut voir que le givre couvre délicatement l'herbe à côté du trottoir, scintillant sous l'éclat des quelques réverbères.
Le silence est presque palpable dans les rues complètement désertes de toute présence humaine. Cette sombre tranquillité émane un aura proche du mystique. Flora porte certes fièrement son casque audio autour du cou, elle ne ressent pas le besoin de le placer sur ses oreilles pour écouter de la musique. Et puis, elle peut toujours se poser quelque part jouer de la basse acoustique si le silence la lasse.
La jeune femme caresse distraitement la sangle de la housse sur son dos. Elle peut sentir sa rugosité malgré les gants. Elle n'est pas très loin du lac, pourquoi pas y aller ? Se poser sur l'herbe fraîche, contempler l'eau calme en buvant du limoncello ou en grattant sa basse ?
Flora laisse alors ses jambes la guider vers son Eden de nuit. Il ne lui faut que quelques minutes avant que le lac n'apparaisse dans son champ de vision.
Le lac, bleu-vert le jour, est maintenant si noir qu'il semble être rempli d'encre. Les lumières urbaines se reflètent cependant sur l'eau flegmatique, perçant la petite brume flottant comme une pâle figure fantomatique. De grands arbres entourent le lac, dépourvus de leur chevelure feuillue, si bien qu'ils ressemblent à des squelettes de bois. Des feuilles mortes aux nervures craquelées tapissent la terre. Leur couleur cuivrée est peu distinctive dans la nuit, mais donne malgré tout un aspect automnal à ce paysage.
Flora s'accorde un instant d'émerveillement. Ses grands yeux rivent sur le moindre détail alors qu'elle arpente les derniers trottoirs. Le parfum d'humus taquine ses narines. Embaume tout autour d'elle.
Enfin, elle se pose. Se cale sur l'herbe, contre le givre perlant le sol. Protégée par son long manteau noir.
Son souffle calme et régulier effleure ses lèvres, se matérialise brièvement en une fumée diaphane avant de se perdre dans la nuit.
Elle pose sa basse sur ses genoux avec douceur. Embrasse le silence presque total. Seul un vague bruissement, presque imperceptible, siffle entre les branches et les brins d'herbe.
Flora demeure ainsi, se laissant bercer par ce silence si bienvenu. Laisse reposer ses oreilles alors perpétuellement au travail. Elle sent même son cœur battre tranquillement dans sa poitrine et masser ses tempes.
Dériver.
S'échapper de l'emprise du temps.
Se contenter d'exister.
Et émerger.
Rarement Flora ne s'est sentie aussi légère. Elle contemple l'immensité des cieux. Quelques veines bleues ou grises trahissent les épaisses couches de nuages. Si épaisses qu'on pourrait presque les percer pour faire couler l'eau.
Elle aime cette image. Une de plus à garder précieusement dans sa tête.
Elle... pourrait les ouvrir suffisamment pour voir la lune...?
D'autres images similaires se projettent dans son esprit, comme un film d'animation. Rien à faire, elles défilent toutes seules, coulent dans son flux de pensées. Elle en fera sûrement une chanson.
Chaque chose en son temps.
Il vaut mieux chérir cet instant de paix, bien trop rare en ce moment. Seules quelques notes de basse éthérées se jouent entre ses oreilles.
D'un geste fluide, Flora couvre ses cheveux de sa capuche, et s'allonge sur l'herbe. Le givre craque à nouveau contre son dos.
Et elle se laisse porter par ces images oniriques, cet air frais. La conscience entre deux eaux.
Le silence est presque palpable dans les rues complètement désertes de toute présence humaine. Cette sombre tranquillité émane un aura proche du mystique. Flora porte certes fièrement son casque audio autour du cou, elle ne ressent pas le besoin de le placer sur ses oreilles pour écouter de la musique. Et puis, elle peut toujours se poser quelque part jouer de la basse acoustique si le silence la lasse.
La jeune femme caresse distraitement la sangle de la housse sur son dos. Elle peut sentir sa rugosité malgré les gants. Elle n'est pas très loin du lac, pourquoi pas y aller ? Se poser sur l'herbe fraîche, contempler l'eau calme en buvant du limoncello ou en grattant sa basse ?
Flora laisse alors ses jambes la guider vers son Eden de nuit. Il ne lui faut que quelques minutes avant que le lac n'apparaisse dans son champ de vision.
Le lac, bleu-vert le jour, est maintenant si noir qu'il semble être rempli d'encre. Les lumières urbaines se reflètent cependant sur l'eau flegmatique, perçant la petite brume flottant comme une pâle figure fantomatique. De grands arbres entourent le lac, dépourvus de leur chevelure feuillue, si bien qu'ils ressemblent à des squelettes de bois. Des feuilles mortes aux nervures craquelées tapissent la terre. Leur couleur cuivrée est peu distinctive dans la nuit, mais donne malgré tout un aspect automnal à ce paysage.
Flora s'accorde un instant d'émerveillement. Ses grands yeux rivent sur le moindre détail alors qu'elle arpente les derniers trottoirs. Le parfum d'humus taquine ses narines. Embaume tout autour d'elle.
Enfin, elle se pose. Se cale sur l'herbe, contre le givre perlant le sol. Protégée par son long manteau noir.
Son souffle calme et régulier effleure ses lèvres, se matérialise brièvement en une fumée diaphane avant de se perdre dans la nuit.
Elle pose sa basse sur ses genoux avec douceur. Embrasse le silence presque total. Seul un vague bruissement, presque imperceptible, siffle entre les branches et les brins d'herbe.
Flora demeure ainsi, se laissant bercer par ce silence si bienvenu. Laisse reposer ses oreilles alors perpétuellement au travail. Elle sent même son cœur battre tranquillement dans sa poitrine et masser ses tempes.
Dériver.
S'échapper de l'emprise du temps.
Se contenter d'exister.
Et émerger.
Rarement Flora ne s'est sentie aussi légère. Elle contemple l'immensité des cieux. Quelques veines bleues ou grises trahissent les épaisses couches de nuages. Si épaisses qu'on pourrait presque les percer pour faire couler l'eau.
Elle aime cette image. Une de plus à garder précieusement dans sa tête.
Elle... pourrait les ouvrir suffisamment pour voir la lune...?
D'autres images similaires se projettent dans son esprit, comme un film d'animation. Rien à faire, elles défilent toutes seules, coulent dans son flux de pensées. Elle en fera sûrement une chanson.
Chaque chose en son temps.
Il vaut mieux chérir cet instant de paix, bien trop rare en ce moment. Seules quelques notes de basse éthérées se jouent entre ses oreilles.
D'un geste fluide, Flora couvre ses cheveux de sa capuche, et s'allonge sur l'herbe. Le givre craque à nouveau contre son dos.
Et elle se laisse porter par ces images oniriques, cet air frais. La conscience entre deux eaux.
- Pantouffe
- Messages : 833
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Age : 28
Re: Falbala et Croatie
Dim 11 Oct 2020 - 23:24
Ils les enferment dans la pièce qui pue, avec la pavasse déchaussée au sol et les relents de vase qui montent comme des rubans de lierre tordus. Ils les mettent nus, collés entre eux comme des grains de riz agglutinés dans la crasse froide. Une saleté de fond de lavabo, noire et grumeleuse- elle finit par leur rentrer dans les sillons du corps. Mais d'abord, ils sont propres. Frais et neufs comme des orbes de douceur volatile, papillonnante à travers l'espace figé.
L'air ne bouge pas dans la pièce. Il ne circule que d'un poumon à l'autre, il moisie sur les lèvres humectées de salive, se dessèche dans le fond de leur gorge, tombe en poussière, fine pluie de cendre... Toutes les particules de poussière, toutes les gouttelettes de postillon, deviennent comme une poudreuse. Tout devient et redevient poussière amorphe, mise en branle par les poumons qui crissent entre les côtes. L'humidité pulvérulente vient leur pourrir au creux de la poitrine, elle leur ronge tendrement le flanc, leur grignote les plis du corps. Le mucus fleurit au fond de leurs orifices. Ils ont la parole pleine de glaires, le geste empli de grincements rouillés. L'os racle dans le fourreau de la chair- molle mais rêche. Comme une grande langue glissante.
A bout de souffle.
Ils se faufilent les uns vers les autres comme des mollusques en mal de pluie, s'étreignent jusqu'à la mort dans des débris de caresses, du coup décomposé, le mouvement en tronçons. Découpé par la fatigue. Ça devient une main en plusieurs étapes. Les doigts existent à tour de rôle... Trop faibles pour s'animer ensemble. Les lignes de la paume vivent l'une après l'autre, elles se réveillent comme des anguilles alourdies de soleil. La paume se modèle par pallier, d'une bombure à l'autre. L'écoulement successif des courbes de la chair se fait avec la lenteur du sirop. Avec la fugitivité de l'eau qui roule en grosses gouttes sur le sol, puis sèche, sans même laisser une trace humide derrière. Comme tout ça est très long, ils ne se touchent que rarement. Ils ont à peine le temps de s'approcher que déjà l'autre carcasse s'est escampé dans la rafale de silence, déjà la joue, l'épaule où accoster, s'est évanouie au creux d'une brise.
Le plus souvent, ils vont s'échouer à demi dans la vase onctueuse. La puanteur, plus épaisse proche du sol, les recouvre totalement, c'est une nappe, sans plis. La boue froide frétille doucement autour d'eux, comme une écume de terre qui ferait des napperons. Cette froidure, cette gesticulation subtile, se creuse un chemin dans leurs membres. Elle se diffuse, engourdissante. Peu à peu, elle les remplit. C'est comme farcir une pomme bien vide, une pomme d'amour... Un amour de jeune homme, lourd et désespéré. Dilapidé et fiévreux.
Ils le savent. Ils soupirent dans leur viande, dans les jus de la vase. Leur souffle fait des bulles brunâtre. Leurs yeux sont fermés sur des ombres ecchymosées, ils s'endorment comme ça, en battant le sommeil à coups de cils, à coups de paupières de pierre.
Le froid, la fange. Un sommeil ivre trimarde jusqu'à leur cœur.
Ça, c'est pour ceux qui succombent. Ils deviendront de la boue et de la puanteur, ils deviendront du limon et de l'odeur en l'air, le parfum de la vie dans la mort enveloppante, de la douceur qui pique-picore en pistonnant le cœur. Angoisses et coups consécutifs. Griffade de plus dans la narine déjà brûlée de remugles. Ils sont le sol douçâtre qui appelle le sommeil et charcle la stature- l'ensevelit, la roue de crasse, l'assimile par à-coups. D'abord le gras et la mollesse, la gelée et l’entraille, l'intérieur de l’entaille ; puis le reste, le plus dur. Ça viendra aussi, ça fera de la poussière, du crissant froid à inhaler pour les autres... Les plus forts, le plus bouillants. Ceux-là ils marchent sur les corps des mous entremêlés. Ils se nourrissent de leur chair presque liquide et grattent aux murs, grimpent aux fenêtres, s'éclatent les ongles en échardes sur la pierre. Ça ne fait rien, pas grand chose. Plus de bruit au fond du trou, plus d'os qui craque, plus de mouvement. Plutôt que de grouiller à ras du sol, ça grouille verticalement. Un temps du moins.
En tout cas, ils crient. Ils aboient, ils hoquètent, ils râlent du fond de la gorge. Ça jaspine d'une certaine façon... Entre eux, ils doivent savoir. Ils ne le savent pas, mais on écoute. Patiemment, on recueille. On note, on griffonne, on capture. Les confessions si on veut bien. Celles de la vie qui s'abandonne, de l'esprit qui faillit.
Plus tard, avec tout ça, on composera un opéra.
- Malnir
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Re: Falbala et Croatie
Dim 11 Oct 2020 - 23:32
Voyage des Crenheimiens (Olben et Arbiôn), nouvelle partie
« Je veux partir, je n’aime pas cette ville … J’attendais autre chose. »
Arbiôn avait le visage expressif, ses grands yeux facilement humides ; à Crenheim, cet aspect si sensible de sa physionomie attirait la sympathie et l’amitié, mais pas ici ; les gens étaient plus cyniques et voyaient là de la faiblesse. En cet instant, sa voix avait vacillé.
Alors Olben réfléchit. Rationnellement ils n’avaient pas de raison de partir ; ils trouvaient du travail, arrivaient à survivre. Quelque-part, peu à peu, leurs conditions matérielles s’amélioraient. Les chevaux leur avaient permis de payer le grenier de cette masure ruinée et d’avoir quelques réserves en cas de coup dur. Moralement en revanche, c’était une autre histoire. Ces gens étaient trop différents d’eux dans leurs mentalités. Et pour deux campagnards comme eux, Solipsane était un monstre titanesque. Un splendide et terrifiant labyrinthe aux pièges mortels. Ils étaient étrangers, pauvres, campagnards. Jamais ils ne seraient heureux ici. Il se surprenait même, lui ! Le raisonné et réfléchi Olben, à regretter leur départ de Crenheim, quand bien même la guerre qui y menaçait les aurait contraint de se cacher ou d’être miséreux. Ici, Arbiôn perdait de cette bonté, de cette innocence et de cette joie qui faisaient de lui Arbiôn. Cette ville les avilissait. Alors il ne répondit pas avec raison, mais il savait qu’il répondait avec sagesse :
« Alors partons. Revendons le grenier, partons à pied. Nous travaillerons dans les champs sur le chemin et ça ira bien même sans chevaux. Les récoltes vont commencer, il y aura bien des gens pour nous payer à la journée. Allons en Hercynée. Partons, même maintenant. »
[…]
Solipsane n’était plus qu’une ombre mauve dans leurs dos quand le soleil se coucha. Arbiôn en tête, un chapeau de paille enfoncé sur ses cheveux châtains, ouvrait la marche, le dos ruisselant de sueur. Olben suivait, respirant à pleins poumons cette délicate odeur d’oliviers, d’herbes sèches, laissant ses oreilles s’emplirent du concert des cigales. Il avait fini par s’y habituer et à les aimer, plus qu’Arbiôn même. En fait, en cet instant précis, il comprenais ce que son ami avait coutume de dire : Le crépuscule était le remède à la peur.
Une après-midi et une nuit avaient séparé leur discussion dans le grenier poussiéreux de leur départ de la ville. Ils avaient passé les portes de la villes, dont les briques glaçurées luisaient dans le soleil rose qui émergeait à l’horizon. Que la campagne était fraîche ! Ils avaient frissonné jusqu’à ce que le ciel ne bleuisse. La route serpentait entre les vergers, les cyprès et les champs dorés, et devant lui, à mesure qu’ils s’éloignaient de Solipsane, Olben pouvait voir Arbiôn se redresser, et à midi il chantaient de concert des airs de leur pays, sans un regard pour ceux qu’ils croisaient et leurs jetaient des regards interloqués. Ils buvaient du vin, du vin épais et pourpre d’Hercynée, au goût fruité de mûres et de montagnes. S’échangeaient la gourde à tours de rôles, bercé d’une douce ivresse.
À midi, ils arrivèrent près d’un village et y prirent du pain de seigle et des prunes, et poursuivant leur route, entrèrent dans un bosquet aux ombres claires et aux odeurs puissantes de résines. Les troncs aux écorces rouges et crevassées des pins parasols leurs évoquaient des colonnes de temple, et au sol, entre les épines roussies, ils trouvèrent des pignons qu’ils ramassèrent au grès de leur marche. Ils les mangeaient encore quand ils se retrouvèrent à nouveau sous l’immensité bleue du ciel. Le soleil tapait fort, il faisait chaud, de plus en plus chaud, mais il y avait du vent, une brise légère qui traversait la campagne, inconnue de la ville. Ils continuèrent leurs marches mais eurent vite soif. Ils n’avaient plus de vin, et dégrisaient un peu. Ils ouvrirent leurs chemises, cherchèrent de l’air, firent encore plusieurs kilomètres avant de trouver les berges sableuses d’un ruisseau. En quelques instants, ils étaient nus, leurs effets en tas dans les herbes, et plongeaient dans l’eau. Arbîon, bon nageur, plongea même et rejaillit au milieu du courant, laissant éclater son rire exubérant, sa peau pale luisant dans le soleil. Olben, soudain revigoré, regagna le rivage pour surveiller leurs affaires. Pendant que son compagnon poursuivait ses ébats, il s’appuya contre un peuplier noueux et observa les alentours. En cet instant, il songea aux solipsanis en bordure de l’Ambre, qu’il pouvait voir, à moitié allongés, fumant dans de longues pipes d’ivoire sculptées, un mélange de chanvre, de graines de pavot broyé, de cannelle, de fleurs séchées et de miel. Il songea qu’il aurait aimé goûter à cet étrange mélange, et qu’un pareil instant aurait été idéal. Mais ça leur aurait coûté trop cher, s’ils voulaient manger à leur faim le long de la route. Y-aurait-il de pareilles choses en Hercynées ? Il ne connaissait rien de cette contrée au-delà de la trouée de Ventelieu, par-delà les montagnes. Et s’il avait entraîné Arbiôn, l’aimable, le souriant et confiant Arbiôn, vers une nouvelle déception ? L’Ambre, malgré la guerre, ne pouvait-elle pas offrir un asile acceptable ? Ou les Cinq Couronnes de l’Ouest ?
Mais Arbiôn justement surgit à ses côtés, dégoulinant d’eau, et entreprit de fouiller dans leurs sacs, chassant ses idées noires.
« Que cherches-tu ? »
« Un harpon ! J’en avait fait un avant d’arriver à Solipsane, tu l’as vu ? »
À peine avait-il posé la question qu’il extirpa le long bâton pointu et denté avec un cris de victoire. Armé, il repartit dans le ruisseau, s’immergeant jusqu’à la taille, et Olben l’observa pêcher, s’amusant de ses exclamations qui ponctuaient ses tentatives. Arbiôn, ayant pourtant failli se noyer dix fois dans les rivières autour de leur village natal, n’avait jamais perdu de son goût pour la nage ou la pêche, au grand désespoir de sa famille. Finalement, alors que la journée s’avançait et que la lumière autour d’eux se teintait de jaune – il ne s’était pourtant pas écoulé tant de temps que ça – Arbiôn ressortit fièrement avec une truite, ses écailles d’argent soulignées e rouge par le sang qui s’écoulait de sa blessure. Il s’empressa de la tuer et entreprit avec l’aide d’Olben de la vider. Il fallut quelques efforts avant que ses deux filets roses et gras, nettoyés de leurs arêtes, la peau à nouveau propre, rincée dans l’eau de la rivière, ne soient prêts. Ils avaient faim, à nouveau, et la firent griller sur des branches.
Ils finissaient de manger quand une vieille dame passa sur la route près d’eux et s’exclama :
« Par la mère Ambre ! Prenez gare mes enfants ! Cette rivière appartient au Prince Lovri et y pêcher est un crime ! Filez-vite avant qu’un de ses valets ne vous voit ! »
Ils s’empressèrent d’éteindre leur feu et de se rhabiller, et partirent à toute vitesse, courant presque jusqu’à ce que Arbiôn éclate de rire.
« Allons ! Que faisons nous dans ce pays ou pêcher est un crime ? Nous qui avons fuis les foudreriviens qui tuent pour des péchés dont nous ne savons rien ! »
Il rit encore. Après quoi leur route fut plus lente et silencieuse. Dans leur dos, le soleil basculait vers l’ouest, les ombres s’allongeaient, mais il faisait encore chaud, très chaud. La rivière toute proche, serpent étincelant, les appelait et il leur fallait faire un effort pour ne pas s’y précipiter à nouveau. Finalement, alors que le soleil s’embrasait, la route s’éleva en quelques zigzag vers une petite colline et ils quittèrent le voisinage de la rivière.
Le soleil se couchait donc et Olben se laissait porter, une fois n’est pas coutume, par l’atmosphère paisible du soir. Il savait à présent ; partir avait été le bon choix. Soudain il y eut un grondement, des cris, des hénissements. Arbiôn et lui s’entre-regardèrent et plongèrent dans l’ombre du bas-côté. Un instant plus tard, sur la crête de la colline apparurent vingt cavaliers montés sur des coursiers élancés, leurs armures étincelant dans la lumière mourante du jour. Ils dévalèrent la colline dans un galop infernal, les dépassant sans les voir, disparurent à l’ouest. Le bruit de leur course s’évanouit peu à peu. La nuit tombait franchement désormais et ils sortirent de leur cachette et reprirent leur route. Un pressentiment, une sorte d’instinct, leur avait commandé de se cacher, leur avait dit que ces cavaliers n’étaient pas une chose normale sur cette route secondaire. Des bandits ? La guerre ? Ce prince Lovri jaloux de sa rivière ? Ils l’ignoraient, mais tous deux sentaient qu’ils avaient bien fait de ne pas croiser leur route.
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