Alouette gentille alouette

Parce qu'il faut manger des fruits, des légumes et de la volaille pour espérer faire bisous biceps un jour.

Entre les murailles de briques, l’air est lourd de la senteur des orangers en fleur. Antio était étendu dans l’herbe tendre, contemplant les nuages défiler sous ses yeux. « Que les cloches me ploient. » murmurait-t-il comme une prière. L’air tiède, salé et chargé de cet indéfinissable qui évoque irrésistiblement la mer venait jusqu’à ses narines frémissantes. Il ait encore son souffle.
Un dos noir et luisant, des sabots martelant, de lourds muscles découpés, des cornes interminables et courbes, la clameur de la foule, le drap de brocard rouge virevoltant comme un spectre, et les cavaliers. Ah les cavaliers, leurs montures élancées et écumantes, et parmi eux le bel Erio, tout de bronze fluide, comme une larme glissant sur le taureau, son épieux écarlate brandit haut.

Antio a vu le spectacle jusqu’au bout, le souffle coupé, le cœur galopant de concert avec la puissante bête anthracite, jusqu’à ce que le cavalier le foudroie en pleine poitrine. Alors lui s’était levé, comme tant d’autres dans les gradins, mais lui avait reculé, s’était enfui dans les entrailles de l’arène, dans ses couloirs sombres, et tout tremblant, bouleversé, s’était éloigné de la clameur qui montait et s’estompait derrière lui. Une angoisse sombre et étouffante l’avait saisi, l’avait pétri, était sortie étouffée en un vague gémissement dans sa gorge et s’y était logée. La lumière et les parfums des jardins de Météore sont venus l’accueillir, lui et sa peur, pour qu’il s’y étale, tout à sa vision hallucinée. Un cavalier comme une larme sur l’échine du taureau.

Quand il l’a recroisé dans les couloirs des palais de Météore, Antio s’est senti terriblement embarrassé. Quoi lui, dans son pourpoint débraillé, il se retrouvait face à ce terrible être, qui lui avait paru si ardent alors comme il filait au dessus du sable de l’arène. Il était vêtu d’un brocard doré, mais on sentait chaque muscle vibrer sous le tissus, et se dégageait une telle aisance de sa démarche qu’on ne pouvait se sentir que lourd et maladroit. Mais Erio était fait de chair, et non pas de bronze en fusion. Sa peau blonde paraissait douce comme la peau d’une pêche, et ses cheveux bouclaient en cascades sombres et huilées. Ses yeux étaient deux disques noirs comme un vin de Solipsane. Quand il croisèrent les siens, il se sentit absorbé comme par une faille emplie de lumières diaprées. Antio en sentit intimement la chaleur alors qu’il le saluait. Et Erio avait souri.

« Que les cloches me ploient. »
Mais toutes les roides statues des saints dans la cathédrale de Météore, tout drapés d’ombre, ne sauraient chasser l’homme vêtu de soleil qui restait gravé dans ses yeux. Leurs poses sévères lui rappelaient le noble maintient du cavalier, ses gestes précis et amples. Celui qu’il avait fait quand il avait serré son bras en un viril salut de gentilhomme. Il se relève.
« Que les cloches me ploient. » mais les cloches restent muettes. Les lumières discrètes des cierges veillent sur tant de secrets honteux dans le demi-jour perpétuel de la nef. Un de plus n’est rien. Rien.

Erio avait l’étreinte douce et féroce. Sa peau douce oui mais sa peau brûlante aussi.Ses lèvres sont charnues et sucrées comme un fruit trop mur, et son haleine est chargée du goût des grenades qu’il grignottait avant qu’ils ne se retrouvent. Il en a la langue pourpre. Les muscles fins de son torse frissonnent d’une chaleur triomphante en se collant contre lui jusqu’à en épouser chaque contour. Sa nudité ardente le rendait aussi visible qu’en plein jour, même dans les ténèbres de l’alcôve. Dans cet instant d’abandon, une angoisse frappait Antio ; que ça soit la réalité, ou pire que ça soit un rêve.

Dessin d'étude des proportions du visage en vue de 3/4 basée sur cette vidéo