Le Pare-tempêtes
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Malnir
Malnir
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Lun 7 Nov 2022 - 22:11
Chronochallenge du 07/11/22
Malnir
Malnir
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CC n°XX L'Arbre d'Ivoire (2) Empty Re: CC n°XX L'Arbre d'Ivoire (2)

Lun 7 Nov 2022 - 22:12
On dit que, quand on s’éloigne vers le nord d’Aregio, quelque part dans les vallées entre Kevire et Esio, dans ces forêts sombres et solennelles, on trouve l’odeur et le souffle des génies. Des êtres minuscules ou colossaux s’y promènent furtivement, loin de l’industrie des hommes. On trouve, dans ces vals creusés par les torrents glacés nés des Cimes Interdites voisines, des sentes moussues et des sanctuaires secrets que n’empruntent que de rares pèlerins. Un vent frais descend du nord, fait danser les feuilles des arbres, osciller les branches des mélèzes. Il ébranle les murs de brume qui envahissent certaines ravines. Elles s’animent alors de lourdes volutes et s’écoulent en contrebas.

Alors, dans l’éblouissement d’or pale du soleil d’automne, on peut voir ces silhouette massives, majestueuses et silencieuses. Elles disparaissent aussi vite qu’elles apparaissent entre les troncs immenses. Les voir est presque un blasphème tant elles sont sacrées mais c’est aussi une bénédiction.

Parmi ces génies, il en est un qui aurait la forme d’un cerf gigantesque, visible uniquement quand la lune joue sur son pelage. Il garde l’une des combes les plus secrètes de ces forêts sans âge. Là-bas, dans un enchevêtrement touffus, là se trouve l’Arbre d’Ivoire. Là, les animaux indomptés viennent s’éteindre. Aucun homme ne devrait oser même envisager de s’y rendre. Il ne trouverait là-bas que la sagesse et la mort.
Silver Phoenix
Silver Phoenix
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Lun 7 Nov 2022 - 22:38
Les cris des corbeaux résonnent alors que la nuit touche à sa fin. La neige logée dans leurs plumes de jais scintille sous la pâle lumière naissante de l’aube. L’immense arbre sur lequel ils sont perchés s’embrase peu à peu sous les ardents rayons, flamboyant avec majesté. Son bois paré de neige est teinté d’un doux rose orangé, mais il éclatera d’un blanc pur lorsque le jour se sera enfin levé.

Sa silhouette se définit, tronc et branches tels un gigantesque squelette émergé des défunts. D’innombrables feuilles mortes reposent sur ses massives racines, leur couleur cuivre comme un trône de feu. Sa sève coule encore malgré la poudreuse immiscée dans ses rides.

Les corbeaux secouent leur tête, se nettoient de leur puissant bec. Puis chantent de leur voix rauque, vêtu de leur splendide plumage iridescent.

Roi d’ivoire orné d’obsidienne, impassible sous le nimbe de la couronne solaire.
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SolalCendre
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Lun 7 Nov 2022 - 22:43
L'arbre d'ivoire

Voyage sur Belaÿ – journal de l'aventurier Seleka, retrouvé et transcrit par son ami Fari, fragments concernant les dolorophons et leurs mœurs mortuaires.

C'est dans le désert de Baskel que les dolorophons avaient élu domicile pour leur dernier voyage. Sur la tendre planète Belaÿ, que le désert gangrenait au fur et à mesure des éons, les longues caravanes qu'ils formaient quand ils accompagnaient l'un de leurs dans son agonie étaient une attraction si prisée que l'on venait des confins les plus éloignés de la galaxie pour y assister. Le voyage commençait dans la forêt, au sein de leur nid. Là, aucun spectateur ne pénétrait, on attendait patiemment à la lisière du bois. Du fond des fourrés montait la clameur fétide du dolorophon mourant. Il vibrait les arbres, crissait les hautes branches, froissait les feuilles. Même à bonne distance, il était proprement insoutenable. Les oiseaux quittaient la ramée, les rongeurs traçaient hors du couvert des taillis. Il ne restait plus dans le nid, espace circulaire délimité d'arbres abattus, que le mourant et les plus vieux de sa harde, qui patientaient. L'honneur de l'agonie était laissé au doyen de la troupe. Tout autre dolorophon qui mourait hors des voies de la nature était laissé à l'abandon là où la horde l'avait trouvé. Si, par malchance, il s'avérait qu'il était encore vivant, ils lui brisaient les vertèbres d'une torsion de la trompe ou lui écrasaient le crâne d'un coup de leurs grosses pattes onguleuses. Le doyen, lui, était laissé seul et sans aide, pourtant entouré d'une dizaine d'yeux dont beaucoup d'humains soupçonnaient qu'ils n'étaient pas tant là pour veiller sur lui que pour vérifier qu'il ne mettait pas fin prématurément à son décès.
Quand enfin la mort se présentait comme inéluctable, mais avant d'avoir tout à fait perdu toutes ses forces, le vieux dolorophon se dressait sur ses membres et sortait de la forêt. Il suivait ensuite, à pas lents et à grands barrissements, le tracé d'une route que n'avaient creusé que les pas de générations de dolorophons mourants, toujours recouverte, absolument invisible, qu'il n'avait jamais empruntée, mais qu'il connaissait par cœur par le truchement d'un instinct indélébile. Les habitants de Belaÿ savaient cette route, fruit d'années d'observations. Perchés dans les arbres, ils regardaient passer le vieux mâle et se remplissaient les yeux de son image, passaient de branche en branche pour ne pas le perdre quand il s'éloignait, comme si le garder plus longtemps en vue eût permis de goûter plus finement les mystères de cette certitude qui le conduisait là où personne ne l'attendait que les ossements de ses ancêtres, dans un mouvement d'une nécessité absolue qui eût remis la mort à plus tard.
J'y étais, ce jour de solstice du troisième éon de la révolution galactique. J'avais vendu tout ce que j'avais pour me payer un billet dans le premier tape-cul qui filait à plus de sept parsecs, la vitesse minimale pour espérer arriver à temps : la mort d'un dolorophon était une nouvelle qui dépassait d'un bond les frontières. Mes amis Kala et Fari s'étaient embarqués comme moi. Après trois jours de voyage, nous nous étions trouvés une auberge miteuse aux lits bourrés de puces à coliques, mais on s'en foutait bien, ce n'était que pour dormir : le lendemain matin, nous nous sommes laissés attirer comme des mouches par les hurlements du dolorophon, nous étions grimpés au premier fardaminier venu, et nous avions attendu.
Après trois heures d'attente, le cortège passa enfin à l'aplomb de notre arbre, juste en dessous, de son pas prodigieusement lent. La puissance des barrissements était telle que j'en vomis. À côté de nous, un autochtone se moqua en me pointant du doigt. Kala voulut se pencher pour mieux voir, mais je le retins. L'autochtone fit de même mais bascula dans le vide. Je retins Kala pour qu'il ne regardât pas. Les barrissements de l'agonisant ne cessèrent pas mais d'autres s'élevèrent, ainsi que des cris stridents, humains cette fois. J'avais lu dans un livre concernant ces cérémonies que les dolorophons pouvaient se montrer d'une agressivité extrême en cas d'interruption de leur cortège. Quand enfin les cris s'arrêtèrent, je jetai un œil par-dessus le feuillage. Il ne restait de l'homme qu'un tas informe et sanglant.
Quand les dolorophons quittèrent la prairie pour s'engager sur la lande, il n'y eut pour les suivre, à bonne distance, que quelques têtes brûlées, et nous en étions. Nous savions pertinemment que la prudence la plus élémentaire recommandait de ne pas s'avancer à leur suite dans des territoires sans arbres pour y grimper et se sauver de leur fureur. Nous savions également que cette prudence avait empêché les autochtones mêmes de porter leur regard sur le réel intérêt de ce voyage. Entendre barrir les dolorophons est une chose que je souhaite à tout habitant de la galaxie et au-delà, pour l'expérience formidable de cette vibration totale qu'ils offrent. Voir les dolorophons en cortège était un spectacle mystique en soi qui dépassait toute religion et tout rite. Mais plus que les entendre et les voir, je voulais les comprendre.
[ Ici, long passage illisible sur les rapports entre les autochtones et les dolorophons. ]
La lande étalait à perte de vue ses herbes plus hautes qu'un homme, dans lesquelles on ne pouvait avancer qu'à coups de machettes. Le sillon des dolorophons traçait une ligne absolument droite vers le désert, mais l'emprunter était absolument exclu : il leur aurait suffi de se retourner pour nous mettre en pièces. J'ai dégainé ma machette, Kala la sienne. Fari nous a regardés comme deux fous et a fait demi-tour, le majeur levé à notre encontre. Kala et moi nous sommes guidés à l'aveugle au son de l'agonisant. Mètre après mètre, patiemment, nous avons progressé sans rien y voir que la lumière des soleils de Belaÿ qui se diffractait dans l'humidité des herbes. Le jour tombait. La nuit s'étendait au-dessus de nous pendant que des milliers de lucioles s'allumaient dans les hautes herbes. La fatigue nous tenaillait mais nous avancions sans rien considérer d'autre que cela : nous allions remonter à l'origine des dolorophons et de leur pélerinage.
Soudain je n'entendis plus Kala. Les lucioles s'étaient faites plus rares et nous n'y voyions plus grand chose. Je me retournai et le vis. Immobile, le visage défait d'horreur, il fixait un point devant lui. Il leva les mains, paumes vers le haut, inclina la tête, mais je n'eus pas le temps d'esquisser le moindre mouvement. Un longue trompe jaillit des herbes en face de lui, s'enroula autour de son cou et lui brisa les vertèbres. Le dolorophon l'attira ensuite à lui et le piétina consciencieusement, en longs barrissements.
Je n'avais pas bougé. Grand bien m'en avait pris. L'animal ne s'était pas retourné et avait poursuivi sa route sans me voir ou me sentir. Je restai prostré là jusqu'au matin. L'odeur du sang et du reste devint intenable alors je résolus de me remettre en route. Cette fois, je suivis le tracé des dolorophons, ignorant le danger, ou plutôt, si conscient du danger et si plein de la mort de mon ami que je m'en fichais bien. Les herbes me coupaient la peau des bras, et un vent du nord commença à me fouetter le visage, chargé de sable et de sel, annonçant le désert comme on annonce une mauvaise nouvelle.
L'entrée dans le […] croirait qu'il n'y a que du sable s'y tromp[erait, le désert] grouille de vie souterraine que la nuit révèle […] harde introuvable a certainement quitté le désert [ …] le dolorophon que nous suivions est probablement [mort]
[Long passage illisible (trace de boue ou de sang ?). Le récit redevient lisible à l'arrivée de Seleka.]
Je m'étais trompé tout du long, et la joie qui m'en a pris était telle que je faillis hurler à pleins poumons. Le désert, à cet endroit, formait une vasque, et au centre de cette vasque gisait un lac. Aucune rivière ne l'alimentait et sa surface brillait d'un feu glacé. Le dolorophon n'était pas mort. Il se tenait là, au bord du lac. Au centre du lac, il y avait un arbre. Un grand arbre si blanc et aux branches si majestueuses que j'en perdis le souffle. Point de feuilles, point de pousses ou de fruit, l'arbre était si blanc que j'en suis certain en écrivant ces lignes, il était fait d'ivoire pur. Le dolorophon se tient face à lui et le regarde. Il ne barrit plus, il a l'air apaisé. Il va avancer vers l'arbre, pénétrer dans le lac d'acide. Et c'est ce qu'il fait. Il hurle de douleur, mais ne se débat pas. Il avance inexorablement vers l'arbre. Au moment où il le touche, il n'y a plus que sa tête, ses larges défenses et le haut de son dos qui dépasse de la surface. En dessous, j'en suis certain, le lac a tout mangé et n'a laissé que les os. Dans un dernier effort, il plante ses défenses dans l'arbre. Celui-ci n'en est pas ébranlé le moins du monde. Il frémit. Soudain, de son tronc poussent deux branches […] magnifique […]

Ici s'arrête le journal de Seleka. Après les avoir laissés, Kala et lui, sur les traces des dolorophons, je me suis ravisé et ai suivi le sillon du troupeau. J'ai pu accéder au désert sans encombres, les animaux étaient partis. J'y ai trouvé Seleka, le buste accroché à l'arbre et les jambes dans l'acide. Il l'enlaçait et sa peau semblait ne plus faire qu'un avec l'ivoire fin de l'écorce. Son crâne s'était effacé dans l'arbre. Il était mort depuis un moment. Juste au-dessus de lui, deux rameaux blancs étaient sortis du tronc. Le carnet était toujours dans la poche dorsale de sa veste, et c'est là que je l'ai trouvé, sauvé de l'acide, mais pas du sang et de la boue.
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