Le Pare-tempêtes
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Malnir
Malnir
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Alice au pays des Mères-vieilles Empty Alice au pays des Mères-vieilles

Lun 6 Mar 2023 - 22:04
Pantouffe
Pantouffe
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Alice au pays des Mères-vieilles Empty Re: Alice au pays des Mères-vieilles

Lun 6 Mar 2023 - 22:59
L'escapade d'un violon dans les rues noires de nuit. Accroché à l'instrument, un garçon danse les yeux fermés, pas de côtés et fentes du corps pour éviter les flaques de pluie. Les gouttes distordent sa musique en tombant sur les cordes, mais il s'acharne à jouer, enroule le barbelé des notes aux bourrasques nocturnes, projette la ronce de son œuvre sonore sur les façades poisseuses. La mélodie se déchire sur des stridences et sur des gémissements, mais il sourit doucement sous la gavroche mitée, avec la douceur diabolique d'un ange taillé dans le marbre. Ses mains bleuies se laissent conduire par l'archet, en suivent les dérapages contrôlés sans y impulser d'elles-mêmes le moindre geste. Ses paumes sont posées sur l'archet comme elles le feraient sur la patte d'un loup. L'instrument n'est pas le prolongement de son corps, c'est tout l'inverse. La volonté est dans le violon, la pulsation, le cri, toute la vie réside dans son bois laqué, dans ses boyaux vibrants ; le reste n'est qu'une excroissance en forme de garçon, un ectoplasme rance à la silhouette de gamin, consistance de vieux caoutchouc, couleur gravier boueux. Un utile bourgeonnement de chair semblable à la tumeur luisante d'une gale du chêne, rien de plus qu'une forme contrefaite dont il a su tirer partie. C'est un support en mouvement qui permet au violon de voyager dans les rues, une barque taillée de la plus étrange manière ; grâce à elle, il glisse sur le clair de lune, goûte à la pluie, aux odeurs de la nuit.

Il a quitté les beaux salons et l'étui de velours, les mains douces et malhabiles de la petite dame. Elle n'a rien à lui offrir sinon ses doigts graciles qui ne savent pas manier l'archet, son babillage frustré, son épaule trop fragile. Il déteste chaque seconde d'emprisonnement entre ces menottes soyeuses d'adolescente, les chants sirupeux qu'elles lui imposent, le ressassement obsessionnel dont il se fait le complice forcé, pour qu'elle puisse briller en société par sa pratique des arts ; les mêmes phrases musicales répétées interminablement. S'il pouvait, il s'hérisserait d'échardes.


Spoiler:


Dernière édition par Pantouffe le Lun 6 Mar 2023 - 23:16, édité 1 fois
Malnir
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Alice au pays des Mères-vieilles Empty Re: Alice au pays des Mères-vieilles

Lun 6 Mar 2023 - 23:02
Un crachin pénible et frais tombait sans discontinuer depuis plus d’une heure. En descendant de la calèche, Arthur avait le vertige. La ville était plongée dans une sorte de pénombre suintante, le ciel pris dans les convulsions de nuages de plomb. Il posa les pieds sur le pavé détrempé et glissant, huma l’air marin et poisseux, jeta un rapide coup d’œil à la mer à sa droite, par-delà les quais voisins. Ses flots boueux étaient presque immobiles. Face à lui, la façade rigide et livide d’un hôtel de ville décrépit le lorgnait de ses multiples fenêtres étroites, ornées de masques grimaçants en médaillons. Un homme au long manteau et au haut-de-forme cabossé l’observait depuis les marches du perron. Mal à l’aise, il tourna les talons pour rejoindre le rivage.

Une odeur désagréable de moisissure et d’algues envahissait les quais. Des filets pourris, des caisses vermoulues et tout un tas de bric-à-brac moisi encombrait le plancher grinçant. Soudain pris d’un haut-le-cœur, Arthur rendit son maigre repas de midi dans l’eau saumâtre. Il cracha. Un peu remis de sa nausée, il se retourna pour contempler le triste paysage de plâtre qui s’étalait le long de la petite baie. Vernwich. Voilà un demi-siècle, c’était encore un port considéré comme sinistre mais prospère, mais depuis les poissons étaient partis et avec eux ce deuxième adjectif. La ville dépeuplée n’était plus qu’un magma de masures vieillissantes et semblait pareille à un masque écaillé, raviné d’étroits boulevards charbonneux.

Le soir tombait doucement. La maison de son oncle était à quelques distances sur le versant de la colline ; s’il ne se dépêchait pas, il n’y serait pas avant que la nuit soit belle et bien là, et il ne tenait pas à être encore dehors à ce moment là. Assurant sa prise sur sa petite valise, il se mit donc en route d’un bon pas, sortant de sa veste le petit papier sur lequel on avait griffonné un itinéraire. Il longea un boulevard presque désert, mise-à-part quelques rares voitures et passants, et atteignit la rue Vérogne, qui serpentait entre des façades lépreuses, puis un escalier glissant, et il se retrouva bientôt devant une sorte de maison avachie à un croisement entre deux rues. Les carreaux étaient encrassés de poussière, les volets bleu s’écaillaient. Le toit d’ardoise s’affaissait en son milieu, la cheminée de brique était envahie d’herbes folles et de mousse. Il s’approcha de la porte, repérant le numéro qui y figurait : c’était là.

Il sortit un trousseau de clefs tachées de rouilles, en essaya plusieurs puis fini par trouver la bonne. Le mécanisme résista un peu, le battant en pivotant encore plus. Il entra lentement dans un vestibule enténébré au carrelage alterné noir et blanc tout lézardé. Avisant une lampe à pétrole sur le côté, encore à moitié pleine, il battit le briquet pour l’allumer et mieux voir ce qui l’entourait. Une peinture délavée, un escalier aux planches disjointes, trois portes ouvertes sur les ténèbres. Tout était curieusement propre, à peine empoussiéré. Il referma derrière lui. Voilà donc ce dont il héritait. Lui qui rêvait d’être un jour propriétaire ignorait s’il pouvait bondir de joie. Mais bon. C’était son nouveau chez lui. Il fit tourner le verrou et coulissa le loquet.
Silver Phoenix
Silver Phoenix
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Alice au pays des Mères-vieilles Empty Re: Alice au pays des Mères-vieilles

Lun 6 Mar 2023 - 23:19
Le froid s’insinue jusque dans ses os, glace le sang coulant dans ses veines. La lueur de la lanterne comme seule compagnie, absorbée par la nuit. Fuite dans les ténèbres, en plein milieu de l’hiver, sans retour possible. Ses souvenirs résonnent dans sa tête, son souffle erratique étouffe le bruit déjà mat de ses pas sur la neige. Il s’en est fallu de peu, avant que les villageois ne la capture…

Ses forces la quittent peu à peu. Sa vitalité s’épuise sous le gel. La faim tenaille son estomac.

Combien de temps doit-elle encore errer, à travers les arbres ou les clairières ? A espérer se trouver un abri ? A manger ? Dormir tranquillement bien au chaud, protégée des affres de la saison ?

Peut-être doit-elle abandonner. Se laisser tomber le long d’un arbre dénudé, en plein dans la forêt. Donner son corps et son esprit à la nature, y retourner à jamais… La neige lui semble soudain plus confortable.

(inachevé)
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