Un soldat en dentelles

La résille crépite le long de ses jambes et la dentelle roucoule entre ses cuisses. C'est comme porter l'écume et le chant des colombes sous la forme d'un simple sous-vêtement, une caresse à l'égo comme aux sens, une symphonie cachée aux yeux de la foule. La culotte en laisse voir plus qu'elle n'en cache, mais elle a de plus essentielles vertus que elle de la pudeur : elle habille sa peau comme un lierre délicat, qui aurait pris racine à son bas ventre. Sous le pantalon de cuir rouge, sa présence lui donnera la confiance nécessaire pour réunir toute la prestance requise à la poursuite de ses activités, et l'esthétique ravira sans nul doute le regard avertis. Mais il lui faut d'autres appâts qu'un sexe parfumé d'huile de rose et enrobé de dentelles pour prétendre remporter une victoire ce soir là.

Alors il se dessine un tout nouveau visage fait d'ombres moirées et d’aplats lumineux, un visage aux lignes calculées fondues artistiquement par le travail conjoins des crèmes et de la poudre.

Le crayon cerne ses yeux comme une bordure d'espace profond- au fond de l'orbite un néant se creuse dans la gélatine du sclère rosis par la fatigue. C'est un œil d'insomniaque et de camé, un litchis en voie de déliquescence, récupéré avant l'éjection fatale par une fine boucle de maquillage semblable à un lasso ; à moins d'y regarder de suffisamment prêt, l'illusion est parfaite, tout semble bien en place, parfaitement imbriqué pour former un faciès délicatement meurtrie de fard. Nez à nez avec son reflet, il ignore superbement les signes alarmants, quand bien même miroir lui renvoie l'image de cette lutte immobile. Sa pupille implose en étoile noire, les veinules palpitent à ses paupières- il sent la migraine qui rampe sous la fine peau de son crâne, les idées hachées par la pulsation régulière qui a grandis entre ses tempes au cours des dernières heures. Une galaxie tassée au fond de ses yeux se précipite vers l'anéantissement ; un ruisseau de fumée s'écoule à l'envers, de sa bouche vers le ciel, en voilant un instant la course fatidique. La cigarette brasille entre ses lèvres, ses doigts se crispent sur le pinceau poudreux dansant à sa paupière. Un geste malencontreux pourrait briser l'harmonie scrupuleusement dessinée de ses traits. Il ne devrait pas cloper pendant ces moments-là. Mais il ne devrait peut-être pas y'avoir non plus, pour commencer, de ces moments là qui tiennent.

Pourtant il y revient chaque fois. Le jeu en vaut indubitablement la chandelle à ses yeux. Quand il avance dans une draperie de néons et de rosées nocturne, les épaules hautes, le menton relevé, la ville ploie sur son passage, la foule se froisse, soumise à l'étrangeté de sa beauté structurée par les désirs déviants. Les rues, la nuit, les hommes- tout ça lui appartient.