Le Pare-tempêtes
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -40%
Tefal Ingenio Emotion – Batterie de cuisine 10 ...
Voir le deal
59.99 €

Aller en bas
Silver Phoenix
Silver Phoenix
Messages : 134
Date d'inscription : 27/08/2018
Age : 26

Quarante Nuits Empty Quarante Nuits

Ven 14 Sep 2018 - 23:52
Quarante Nuits Phoeni15

Un soupir fut lâché.

Julia se recroquevilla dans son lit. Elle s'était encore endormie de fatigue. Aucun souvenir de ce qui s'était déroulé avant ce sommeil involontaire. Ses yeux la piquaient dès qu'elle levait ses paupières. Mais cela lui était égal. Tout lui était égal.

Ne voyant aucune raison de se lever, elle préféra rester couchée. La simple pensée d'utiliser les muscles de ses jambes pour se retrouver en station debout était douloureuse. De plus, elle avait perdu toute notion du temps. Bien que son corps semblait quasiment inerte, son activité cérébrale ne ralentissait jamais. Des pensées macabres l'assaillaient constamment. «Tu es inutile.». «Tu es nulle». «Personne ne t'aime.». «Tu serais mieux en cadavre.». Et des milliers d'autres pensées du même acabit.

Sur sa table de nuit trônaient un couteau suisse et un vieux portable à clavier. La jeune femme contemplait le couteau avec une vague envie. Celle d'en finir. D'en finir avec cette souffrance omniprésente, de sa vie insignifiante. Elle prit l'objet, le bras tremblant, et sortit la lame légèrement rouillée. Cependant, en positionnant la lame sur son poignet pour s'ouvrir les veines, Julia se mit à hésiter longuement.

Il était vrai que son désir de mourir grandissait de jour en jour, mais à chaque fois qu'elle tentait de mettre fin à sa vie une bonne fois pour toute, l'angoisse lui attaquait le ventre, une sensation insupportable de vertige apparaissait. Comme si elle se trouvait sur une falaise donnant sur le vide absolu.

Ce jour-là, elle n'osa pas mourir non plus. Telle une punition, elle se mutila le bras gauche avec quelques coupures sanglantes. Plusieurs plaies cicatrisantes ornaient déjà son bras. Même la douleur physique ne lui suffisait plus. C'était comme si elle était quasiment anesthésiée. La jeune femme rétracta la lame tachée de sang et la reposa sur la commode, en relâchant un soupir de lassitude.

Ses paupières se fermèrent lentement. Sa haine d'elle-même ne partait jamais. Elle s'interdisait de se reposer de sa souffrance, persuadée que tout ce qui lui arrivait était mérité. Elle essaya de se remémorer de quelque chose de la veille pour retrouver une partie de sa notion spatio-temporelle, en vain. Sa mémoire à court terme se trouvait sur le moment sévèrement endommagée.

Après une durée indéterminée qui lui semblait interminable, Julia se redressa lentement et plaqua sa main droite sur son crâne. Elle se mordit légèrement la lèvre inférieure lorsqu'elle sentit que ses cheveux étaient gras et huileux. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle s'était douchée ou brossée les dents. Les vêtements qu'elle portait, c'est-à-dire un pantalon large noir et un T-shirt blanc sale, demeuraient inchangés depuis sa dernière sortie à l'air libre. Cela devait faire plus d'une semaine que Julia restait mollement chez elle, avachie dans son lit ou son canapé devant la télévision.

Finalement, la jeune femme décida de se lever totalement. Elle prit une profonde inspiration, puis bougea ses jambes d'un coup. La quantité d'énergie qu'elle devait utiliser rien que pour ce geste lui semblait colossale. Ses pieds, couverts par des épaisses chaussettes noires, touchèrent le parquet de faux bois. Ses poings se serrèrent à s'en enfoncer les ongles. Dans un souffle court et puissant, elle vida brutalement ses poumons de tout l'air qu'elle avait avalé quelques secondes plus tôt. Elle reprit une autre inspiration, puis se redressa subitement. Ses jambes étaient endolories et sa poitrine semblait comprimée par tous ces gestes.

Julia se maudit elle-même. Rien que le fait de se lever du lit semblait lui être aussi dur que d'escalader une montagne à mains nues. Pourquoi son corps ne voulait jamais faire quoi que ce soit ?

La jeune femme se rendit dans sa minuscule salle de bain, les jambes boîteuses et les bras ballants. Dans un élan de brève curiosité, elle se regarda dans le miroir installé au-dessus du lavabo. Julia se trouvait dans un sale état. Son visage était d'une pâleur cadavérique, les yeux, colorés d'un bleu sombre et presque sinistres, étaient entourés de grosses cernes violacées, trahissant son épuisement et sa faiblesse. Ses joues se creusaient et ses lèvres se cassaient sous l'effet de la sécheresse buccale, des morceaux de peau transparents dépassant légèrement de celles-ci. Ses cheveux noirs et huileux lui arrivaient aux épaules. Julia les ébouriffait d'habitude, mais à ce moment-là, ils étaient plats et réfléchissaient la faible lumière artificielle de la pièce.

Elle faisait pitié à voir. Julia remarquait qu'elle ressemblait à une carcasse ambulante. Son regard se dirigea vers la douche. Cependant, elle ne voulait pas se laver, craignant le froid quasiment glacial habituel. Elle se contenta de faire couler de l'eau fraîche du robinet, plaça ses mains osseuses sous le jet et se jeta l'eau sur son visage de cadavre, histoire de stopper les picotements de ses yeux.

Julia lâcha un baillement. Son estomac lui semblait creux, mais elle ne ressentait nullement le besoin de manger quelque chose. La nausée la prenait trop aux tripes pour qu'elle ait la volonté d'avaler quoi que ce soit. Elle se dirigea vers le salon, puis s'assit sur le canapé pour reposer ses jambes vacillantes. Ses mains massèrent lentement ses cuisses dans le but d'atténuer les tremblements.

Cependant après une minute de massage, Julia perdit patience. Elle enfonça progressivement ses ongles dans sa cuisse. La douleur s'intensifia de plus en plus. La jeune femme serra ses dents et cligna des yeux. Ses mains se secouèrent violemment sous l'effet du sévice corporel.

Tout d'un coup, elle s'arrêta avant de percer sa peau. Elle n'avait pas le cran de s'ouvrir jusqu'au sang. Julia lâcha un étrange soupir de soulagement. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas ressenti une sensation aussi forte. Sur le moment, elle n'y trouvait aucun plaisir, mais la détente post-mutilation la satisfaisait légèrement.

Son regard vide se posa sur la télécommande de la télévision. L'esprit plus clair, elle la prit et appuya sur le bouton pour allumer la boîte électronique. Le programme tombait en plein milieu des informations du soir. Il devait être alors plus de vingt heures... Julia ne sut pourquoi, elle décida de suivre le journal télévisé. Les nouvelles étaient soit très mauvaises, causées par des guerres ou des catastrophes naturelles, soit inintéressantes. De toute façon, Julia n'était plus atteinte par les évènements tuant des personnes lui étant totalement inconnues. Son empathie naturelle ne fonctionnait plus, ce qui l'attristait un peu quelquepart.

Cependant, un nouveau reportage attira soudainement son attention...

Un reportage sur Galune. La ville où elle habitait.

«Galune est une ville de taille moyenne. D'apparence tranquille le jour, la nuit devient le théâtre de crimes crapuleux.» Commenta le journaliste.

Julia fronça les sourcils. La voix du journaliste se voulant sensationnaliste l'agaçait, mais elle voulait malgré tout suivre ce reportage.

«On dénombre au total vingt six agressions nocturnes en moins de seulement deux semaines. Les Galunéens sont en colère contre les policiers, qu'ils trouvent incompétents.»

Vingt six ? Cela faisait beaucoup en effet...

«Les policiers soupçonnent des gangs s'étant installés dans la ville de Galune. Ils ne peuvent malheureusement pas nous donner plus d'informations conçernant leur enquête pour le moment. En attendant, le maire appelle les Galunéens à garder leur calme et à éviter de sortir de la rue après vingt deux heures.»

Julia réfléchit. Elle se souvint que quand elle était enfant, elle voulait devenir Batman. Elle avait supplié sa mère de prendre des cours d'autodéfense et voulait sortir la nuit pour se battre contre des criminels de rue. Mais bon, elle savait désormais que ça lui attirerait énormément d'ennuis.

Quoique... Julia n'avait plus rien à perdre, mise à part sa vie. Ennuis ou non, cela lui était égal. Mais elle ne voulait pas sortir de chez elle malgré tout.

Pourquoi ne pas jouer les super héros pour au moins quitter ce monde dignement...

Cette vague idée attirait légèrement Julia, tout en formant une boule au ventre. Ridicule. Pourquoi avait-elle des idées aussi stupides ? Les super héros, ça n'existait pas !

Cependant, une soudaine énergie s'empara de son être. Elle se leva d'un seule geste, puis partie vers la salle de bain. Ses yeux contemplaient son bras blessé de dizaines de coupures. Julia se mourrait lentement... Autant qu'on la poignarde franchement, et de sauter le pas la séparant de la mort !

La jeune femme retira son T shirt sale, dévoilant sa petite poitrine. Elle frissonait déjà de froid alors que la moitié de ses vêtements demeurait encore sur son corps. Son pantalon, ses chaussettes, et enfin sa culotte noire et large, furent enlevés rapidement. Désormais nue, elle entra dans la petite douche, et actionna le robinet d'eau chaude. En attendant que l'eau se réchauffe, Julia se demanda s'il valait la peine d'écrire une espèce de lettre d'adieu. Peut-être qu'énoncer ses raisons de vouloir quitter ce monde épargnerait aux enquêteurs potentiels de s'attarder sur son funeste sort. De plus, ses parents ne se poseraient pas davantage de questions. De toute façon, aux yeux de Julia, elle n'était qu'une perte de temps et d'argent pour ses géniteurs.

L'eau désormais chaude, Julia se plaça sous le jet. Le liquide transparent s'écoulait doucement sur son corps, réchauffant son être. Bien que l'eau brûlait ses plaies cicatrisantes sur son bras, elle éprouva un certain plaisir de la sentir ruisseler sur elle. Elle prit la bouteille de shampooing et en fit couler sur sa main. La jeune femme en mit sur ses cheveux mouillés, en massant son crâne. La mousse coulait sur son visage et sa nuque. Elle prit ensuite le gel douche, qu'elle appliqua sur son corps maigre.

Sa douche fut rapide. Julia se rinça, puis prit une serviette blanche et s'entoura avec pour tenter de se trouver un peu de chaleur. Le froid était insupportable, agissant comme un brutal retour vers la réalité. L'eau perlait encore sur sa peau pâle. Ses membres tremblaient, et sa respiration était lente et saccadée.

Julia eut l'idée de se tourner vers un radiateur. Malheureusement, le chauffage était peu efficace dans son bâtiment. Le peu de chaleur qu'elle réussit à sentir ne lui suffisait pas. Alors, elle alla dans son lit, et s'enroula dans la couverture malgré l'humidité encore présente sur sa peau. Le tissu se collait à elle, mais cela avait un côté rassurant pour Julia. Elle se recroquevilla et respira plus doucement.

Le sommeil recommençait à pointer le bout de son nez. Mais d'abord, Julia décida de se remplir l'estomac, vide depuis la veille. La sensation de faim apparaissait peu à peu. Mais elle n'avait plus rien à manger...

Avec sa serviette, elle sécha les dernières gouttes d'eau restantes sur sa peau parcheminée, puis la jeta négligeamment quelquepart dans la chambre. Elle prit des sous-vêtements, un vieux T-shirt bleu et un pantalon large blanchâtre, et les enfila mollement, un autre frisson de froid parcourant sa colonne vertébrale.

Julia réprima un autre baillement. Elle était épuisée alors qu'elle n'avait rien fait de la journée. Le petit réfrigérateur et les deux minuscules placards de cuisine l'attendaient. Les jambes tremblant encore de froid, elle se dirigea vers la cuisine du studio, et ouvrit le réfrigérateur. Rien. Pas un seul œuf, pas un seul fruit. Juste de l'eau plate. Elle ouvrit alors les placards, le stress s'emparant de son être. Du pain rassi. Rien d'autre.

Etrangement, Julia sentit encore plus la faim tenailler son estomac. Elle plaça fébrilement une main à cet endroit. Elle ne pouvait pas rester comme ça. Elle regarda l'horloge de la cuisine, et vit qu'il était vingt heures quarante cinq. L'épicerie en bas de chez elle fermait vers vingt-et-une heures trente. La jeune femme n'avait absolument aucune envie de sortir, mais elle ressentait le fait d'avoir le choix.

Lassée, elle alla dans le salle de bain, prit son sèche-cheveux, le brancha, et l'alluma. Elle régla l'objet pour obtenir un vent chaud et puissant. Pendant quelques minutes, elle sécha ses cheveux noirs. Le souffle brûlant contrastait douloureusement avec le froid de la pièce, mais elle voulait absolument en finir avec l'humidité envahissante sur son crâne. Une fois les cheveux secs, elle se dirigea dans le salon, et décrocha son manteau imperméable, une écharpe et un bonnet, qu'elle enfila encore plus mollement que les vêtements de tout à l'heure. Elle ne pouvait pas garder cette faim lui dévorer le ventre.

Julia prit la clé et ouvrit la porte, dans un soupir d'agacement. Si seulement elle avait le courage de sauter du troisième étage... Elle décida de prendre l'ascenceur, ayant la paresse de descendre les escaliers. Elle sortit de cette cage, puis du bâtiment. Tout à coup, un froid encore plus violent la figea. Ce novembre était gris et glacé... Mais elle reprit ses esprits, puis marcha quelques dizaines de mètres vers l'épicerie. Il était vingt-et-une heures.

(inachevé)
Revenir en haut
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum