Le Pare-tempêtes
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Silenuse
Silenuse
Messages : 8
Date d'inscription : 01/10/2018

Une masure blanche Empty Une masure blanche

Lun 1 Oct 2018 - 22:06
PASCALINE – Maman, maman !
 
Elle court partout dans la maison. On voit le soleil d’automne qui pénètre la maison de plein sud.
 
PASCALINE – Maman !
 
Elle fait des allers-retours entre la chambre, le salon, en passant par la terrasse au soleil qui est dehors.
 
PASCALINE – Maman ?
 
C’est tout calme et on dirait que les meubles retiennent un murmure, bercés par la lumière.
 
PASCALINE – Tu es où ma maman ?
 
Pascaline ?
 
C’est une voix un peu lointaine, masculine.
 
Pascaline ? Tu es là ?
 
PASCALINE – Oui, papa !
 
Elle dévale les escaliers, presque ignorant les marches en vieux bois poussiéreux.
 
Je ne te vois pas. Tu es où, Pascaline ?
 
PASCALINE – Je suis là, j’arrive, papa.
 
Elle court, elle court. La voix semble venir de la chambre.
 
PASCALINE – Papa, Papa ! Je cherche maman. Je ne la trouve pas.
 
Pascaline ?
 
La voix est de l’autre côté, maintenant.
 
Pascaline ? Tu as vu ton frère ?
 
PASCALINE – Papa ?
 
Pourquoi t’éloignes-tu, Pascaline ? Je t’entends moins… Ne t’en va pas…
 
La voix court entre les couloirs.
 
PASCALINE – Je suis là, papa. Je t’entends, moi. Je cherche Maman… Je ne la trouve pas…
 
Elle cherche Oscar. Elle ne le trouve pas non plus.
 
Pascaline court encore, passant dans les différents couloirs lumineux de la vieille maison.
 
Pascaline ? Dis quelque chose, sinon je ne te trouverais pas.
 
PASCALINE – Je parle, Papa, je parle comme je t’entends.
 
On dirait que tu t’en vas. Ne te perds pas.
 
Pascaline ralentit.
 
PASCALINE – Papa ?
 
Tu dis quelque chose ?
 
C’est un cul-de-sac. C’est un mur qu’il y a en face d’elle.
 
Pascaline ?
 
PASCALINE – Papa, Papa ? Tu es où ? Papa, tu es où ? Je ne sais pas où tu es…
 
Je suis là, je t’entends près de moi. On dirait que tu es si proche. On dirait un soupir.
 
Elle se retourne. Il n’y a qu’un couloir bercé par le soleil.
 
PASCALINE – Papa ?
 
On entend une foule, au loin, qui bavasse.
 
PASCALINE – Papa ?
 
Elle avance un petit peu.
La foule s’éloigne.
 
Elle jette un petit regard vers l’autre bout du couloir, d’où elle vient, qu’elle cherche des yeux, sans réussir à le trouver, sans réussir à trouver Papa.
 
PASCALINE – J’entends des gens qui sont avec toi… Tu vas bien, Papa ?
 
La foule parle encore.
Pascaline avance vers le cul-de-sac et le brouhaha s’intensifie.
Elle colle son oreille au mur. Elle parvient à écouter la foule, sans pouvoir en distinguer des paroles.
 
Pascaline ?
 
Ça vient de l’autre côté du couloir.
 
Pascaline ne dit rien.
 
Pascaline ? Tu me cherchais ?
 
Elle fait semblant de ne pas écouter.
 
Pascaline ? C’est moi.
 
Elle hoche la tête.
 
Ecoute-moi !
 
Pascaline !
 
Pascaline !
 
Elle hoche la tête à nouveau.
 
C’est moi… 
 
Ça n’est pas Maman…
 
PASCALINE – Tu n’es pas ma Maman…
 
Non…
 
Et la voix lointaine s’en va.
 
PASCALINE – Ne pars pas !
 
Je ne pars pas.
 
Ça ne ressemble pas à Maman.
 
PASCALINE – T’es pas ma Maman…
 
Je ne sais pas, je me vois pas…
 
PASCALINE – On dirait que t’es un chien…
 
Un chien ?
 
PASCALINE – Tu t’appelles comment ?
 
Fiffu.
 
PASCALINE – Viens, Fiffu, on va jouer ensemble.
 
 
***
 
 
            Trois oiseaux piaillent en concert. Le vent souffle un peu sur les plaines déjà endormies le long des rayons du soir. Les ombres s’étirent, s’étirent, s’étirent encore pour rejoindre, au loin, le royaume vaste et inquiétant de l’horizon. Le monde s’assoupit lentement dans un murmure sinueux.
            Les oiseaux s’envolent. C’est le soir ! Vite ! Il faut rejoindre le nid, vite ! Avec la caresse de la brise, les trois oiseaux arrivent, soudain, si vite, à l’orée d’un grand jardin fraîchement tondu. Le nid est par là-bas ! Le soir tombe, vite !
            « Mais pourquoi craindre le soir ? » aurait pu dire un murmure caché dans l’ombre. Et il aurait eu raison.
            Le soir verse ses premiers songes au moment où la maison devant le jardin se met à se dresser devant lui, obscure et fraîche.
            C’est une vieille maison.
            Plus un oiseau ne parle. On les entendrait rêver.
 
 
            C’est une vieille maison, cachée par des feuilles alors que le soleil se couche, lentement. Tout semble bercé d’une lumière d’or qui se reflète dans les fenêtres. Les ardoises sont remplies de mousse et les murs commencent à soupirer ; ils se reposent, car ce soir est peut-être le dernier, le matin jamais ne se relevant. Demain serait autre chose, un autre monde qui se lève et qui crie. Mais en attendant cette voix espérée, on écoute le murmure qui resplendit entre les feuillages, on expire un long moment près du vieil arbre au fond du jardin, où est les trois oiseaux sommeillent. Peut-être le clair de lune brillera autant quand l’astre se montrera. Peut-être.
            C’est une vieille maison, vieille parmi les autres d’à côté, vieilles aussi, comme si elles allaient mourir tout bientôt. C’est tout sombre ; il y a juste quelques lumières, quelques lucioles qui se cachent derrière les fenêtres. Rien de plus. C’est un village de quelques âmes, ou encore celles qui restent. Kernauzot.
            Et la vieille maison est dans un coin sombre, près d’une petite rivière.
            Des gens dorment.
            Il ne se passe rien.
 
***
 
Plus loin, dans une maison plus vieille et plus triste, on entend une voix qui parle lentement.
Un vieil homme.
Avec lui, un petit enfant.
 
LE VIEIL HOMME – Est-ce que tu veux un petit jus d’orange, Oscar ?
 
            Il ne répond pas.
 
LE VIEIL HOMME – Allez… viens… Viens, viens prendre un petit biscuit, viens…
 
            Il prend deux petits biscuits et son verre de jus d’orange. Mais il doit poser son verre, sinon, ses mains sont trop pleines et les biscuits sont presque sur le point de trébucher…
            Il prend ses deux petits biscuits dans les deux mains, les écrase proprement et avec soin, et les miettes sablées se mettent à tomber délicatement, comme une neige poussiéreuse, et atteignent le sol dans un tas, une pyramide imparfaite, qui s’écoule, s’écoule, petit à petit, le temps qu’on le regarde…
 
LE VIEIL HOMME – Oscar ! Petit vilain ! Arrête donc de faire tomber les petits biscuits que je te donne ! Je t’ai déjà dit de ne plus le faire…
 
            Ça tombe encore lentement…
 
LE VIEIL HOMME – Oscar !
 
Il prend soudainement sa main et l’emmène dans le salon.
 
LE VIEIL HOMME – Viens, assieds-toi.
 
            Oscar reste un moment debout, les mains en entonnoir, comme pur faire tomber des miettes de petit biscuit. Mais il ne reste que quelques morceaux sur les paumes… Ils ne tombent pas…
 
LE VIEIL HOMME – Viens, je vais te raconter une histoire.
 
            Un léger sourire.
 
LE VIEIL HOMME – Est-ce que tu te souviens, Oscar, est-ce que tu te souviens de quand j’étais parti lors de la tempête ?
 
            Il ne répond pas.
 
LE VIEIL HOMME – C’était il y a quelques mois. On était au port avec JM et
 
            Oscar baille.
 
LE VIEIL HOMME – Oscar ! On ne baille pas, c’est très malpoli !
 
            Oscar le regarde, les mains toujours en entonnoir.
 
LE VIEIL HOMME – On partait à la pêche. Tu sais, comme l’été dernier, quand on était au lac avec Papa ?
 
            Il hoche la tête.
 
LE VIEIL HOMME – Le vent soufflait à peine et on mettait les voiles. On était partis. On était trois, alors. Il y avait le capitaine et deux mousses. Moi, j’étais un mousse, je ne savais rien. Le capitaine était un grand homme avec une très grande barbe poivre et sel. Tu sais, comme Papa ?
 
            Il hoche la tête et esquisse un sourire.
 
LE VIEIL HOMME – Il pleuvait, il pleuvait tant ! On tenait les voiles de toutes nos forces pour contrer le vent ! On n’arrivait plus à distinguer la pluie de nos sueurs. Mais là…
 
            Ils se regardent d’un coup.
 
LE VIEIL HOMME – Un tourbillon.
 
            Oscar sourit.
 
LE VIEIL HOMME – Le capitaine garde le cap. Nous, on hurle, on hurle que l’on va mourir, que c’est de la folie, que l’on va mourir ici. On croyait vraiment que ce tourbillon allait nous avaler tout cru, comme une gigantesque gorge noire et dont on ne voyait pas le fond. C’était horrible. Le capitaine garde le cap et, on le croyait fou, il lève les voiles.
 
            Une pause.
            Oscar le regarde, les mains toujours en entonnoir, les biscuits tombant.
 
LE VIEIL HOMME – On s’est réveillés.
 
            Un temps.
 
LE VIEIL HOMME – On était sur une plage, tous les deux, les deux mousses. Pas de capitaine. Rien d’autre.
 
            Oscar reste stoïque.
 
LE VIEIL HOMME – Il y a eu alors un bateau qui arrivait. Pour nous sauver. On dirait, c’était si étonnant de la voir arriver là à ce moment.
 
            Oscar.
 
LE VIEIL HOMME – Et…
 
            Oscar.
 
LE VIEIL HOMME – J’ai cru mourir…
 
            Oscar.
            Sourire.
            Oscar.
 
LE VIEIL HOMME – Oscar ?
 
            Oscar lève les yeux.
            Sourire.
            Il regarde le Vieil homme.
 
LE VIEIL HOMME – Oscar…
 
            Il écrase les biscuits de sa main, puis les laisse tomber.
 
LE VIEIL HOMME – Oscar…
 
***
 
       Aaaah !
 
Le navire commence à chavirer
 
       Aaaaah !
       Capitaine, on doit changer de cap !
       Non, jamais !
 
Un bruit de vague fait à la bouche.
 
       Il y a de l’eau partout dans la cale, capitaine !
       Ecoupez le navire, enfin !
 
Il y a des gouttes qui tombent sur le sol.
 
       Ecoupez ? On dit écoper, capitaine !
       Aaaah !
       C’est que ça tangue !
 
Une petite caisse tombe soudain du navire.
 
Boum.
 
       Vous avez entendu ça ?
       C’était quoi ?
       Quelque chose est tombé, non ?
       Je sais pas !
 
La petite caisse a disparu.
 
       Allez, tenez les voiles !
       Oui, capitaine !
 
Un léger souffle fait à la bouche.
 
       Ah ! Quelle tempête !
       On s’en sortira pas vivants !
 
Un nouveau souffle.
 
       Si, matelots ! Tenez les voiles ! On y arrivera bientôt.
       Où ça, capitaine ?
 
Il ne répond pas.
 
       Aaaah !
       Quoi ?
       Il y a un rocher droit devant, capitaine !
       Où ça ? Je ne vois pas !
       Là !
Un petit caillou est tenu en l’air.
 
       Ah ! Je le vois ! Vite ! Je tiens la barre. A bâbord toutes ! Tenez les voiles tendues jusqu’à mon signal. Tournez-les dans le sens du vent !
       Oui, capitaine !
 
Il bouge le caillou.
 
       Aaah !
       Le rocher bouge !
       Il est immense !
       Aaaah ! On ne va pas l’éviter !
       Aaaaah !
       Aaaaaaaah !
 
Le navire percute.
 
       Aaaah !
       Capitaine !
       Aaaah !
 
Le navire tombe.
Toute l’eau de la cale se déverse sur le sol.
 
       Aaaah !
 
Il n’y a plus que des cris sur le navire.
 
       Aaaah !
 
Le navire est percé en deux par le caillou.
 
       Aaaah !
 
Tout tombe.
 
       Aaa
 
Le téléphone se met à sonner.
 
Driiing !
 
Imparfait pose le navire et le caillou sur le sol, se lève et sort de la chambre.
 
Driiing !
 
Il sort dans le couloir.
 
Driiing !
 
C’est toujours lui.
 
Driiing !
 
Imparfait avance rapidement dans les couloirs.
 
Driiing !
 
Vite…
 
Driiing !
 
Mais que les couloirs sont longs…
 
Driiing !
 
Imparfait commence à courir.
 
Driiing !
 
Vite…
 
Driiing !
 

 
Plus rien.
C’est la messagerie qu’on entend.
 
LA MESSAGERIE – Allô ? Allô ? Je ne sais pas si on m’entend… Bon… Je vais laisser un message, ce n’est pas bien grave. C’est le professeur Patibus, je voulais vous parler. Mais bon… ce n’est pas bien grave, je vais laisser un message, c’était pour vous parler. Après… après, ça n’est pas très utile, mais ça, c’est normal. Je voulais revenir sur ce qu’on disait avant, l’autre jour. On parlait ce qu’on pouvait savoir ou pas. C’était intéressant, hein, je ne dis pas le contraire… Vous vouliez savoir ce que je faisais. Bon… C’est un peu compliqué, vous savez ? Moi, tout ce que je sais, c’est que je ne sais pas grand-chose. C’est mon école, hein, le monde n’a que des exceptions et la règle est une exception à l’exception. Je suis professeur – un scientifique, si vous voulez – et l’exception, c’est mon domaine. C’est la seule chose qui constitue notre monde, de la première respiration d’un bébé aux grandes théories économiques de notre pays, tout n’est qu’une exception. La règle souhaite englober ce qui n’est pas englobable. Tout ce qui n’est pas exception, tout, est vide, large, creux, insensé. Nous, nous aussi, les hommes, on est dans le monde comme des exceptions. On est insignifiants dans l’idée d’un tout, mais pleinement sensés dans l’idée d’un rien. Après, vous me direz ça, sans doute, quelle importance ? Oui, en termes pataphysiciens, on s’en bat les couilles.
            Mes recherches continuent, comme toujours. Je cherche, je cherche, encore, encore. Peut-être que je trouverai quelque chose. Je vous en ai parlé, déjà. J’aimerais trouver du sens dans l’insignifiant. Je suis convaincu que ce qui me procure le plus de certitude, c’est l’insignifiant, ce qu’on ne sait pas. Ce que je ne sais pas, ce que je ne saurai, ce dont je n’ai pas les moyens de savoir, je suis certain de ne pas savoir, parce que pour le reste, je ne suis pas certain de savoir. Je pourrais affirmer n’importe quoi que ce serait faux, non juste et incertain.
            Ça avance, je crois. J’ai passé ma semaine dessus. Je me suis beaucoup fondé sur votre maison, d’ailleurs, c’était intéressant. On en reparlera si vous voulez.
            Le ciel est beau, ce soir. Le soleil vient de se coucher. Je tenais à le signaler parce que ce n’est pas souvent que je trouve les choses belles. Je suis sinistre tout le temps, sinon.
            Bref.
            J’ai croisé votre mère, tout à l’heure. Elle ne va pas très bien. Vous devriez la soigner rapidement. Ou qu’elle repasse me voir.
            Bref.
            Bonne soirée.
 
Imparfait est là à écouter la messagerie, au pied de la porte du salon, les yeux fixés sur le téléphone. Il ne dit rien. Ses pieds sont collés sur le parquet doré, il n’arrive pas à bouger. Ses yeux sont grand ouverts.
 
Le vent commence à souffler et on entend un claquement de porte vif. Imparfait met un pied en avant.
 
IMPARFAIT – Oscar ? Oscar, c’est toi ?
 
Pas de réponse. Le vent souffle toujours un peu plus fort.
 
IMPARFAIT – Oscar ?
 
Rien.
Juste du vent.
 
***
 
Les rayons du jour s’endorment peu à peu.
 
***
 
Le vieil homme et Oscar se regardent.
Ils sont dans le salon et le vieil homme boit un grand verre d’eau.
Oscar n’a plus de miette dans les mains.
 
LE VIEIL HOMME – Ça y est, Oscar ? Tu as fini de jouer ?
 
Oscar le fixe.
 
LE VIEIL HOMME – Va te laver les mains, maintenant.
 
Oscar montre un sourire.
 
LE VIEIL HOMME – Mamie devrait bientôt rentrer. Il faut que tu sois beau.
 
Oscar semble acquiescer, mais ses yeux ne quittent pas le regard tremblotant du vieil homme.
 
Un temps.
 
LE VIEIL HOMME – Allez, Oscar ! File !
 
Il ne bouge pas.
 
LE VIEIL HOMME – Allons, pourquoi tu restes là à ne rien faire ?
 
Oscar reste là. Il ne fait rien.
 
LE VIEIL HOMME – Je commence à avoir froid… Ça doit être avec la nuit qui tombe…
 
Oscar zieute les morceaux de biscuit qu’il a mis par terre.
 
LE VIEIL HOMME – Oscar…
 
Un petit soupir.
 
LE VIEIL HOMME – Oscar, aide Papi, veux-tu ?
 
Oscar ne fait rien.
 
LE VIEIL HOMME – Allez, Oscar… Va me chercher quelque chose. Mamie arrive. Va me chercher quelque chose de chaud. Je dois pâlir, non ? Donne-moi de l’eau…
 
Oscar ne fait rien.
 
LE VIEIL HOMME – Oscar…
 
Il entend un bruit.
 
LE VIEIL HOMME – Mamie ? Mamie, est-ce que c’est toi ?
 
Rien. Pas de réponse.
 
LE VIEIL HOMME – Oh ! Je ne sais plus ce que j’entends !
 
Un petit rire.
 
LE VIEIL HOMME – Oscar, rapproche-toi de Papi.
 
Oscar ne bouge pas.
 
LE VIEIL HOMME – Oh, je me sens bizarre… Regarde Oscar, j’ai la main toute blanche… Si tu pouvais me ramener quelque chose, ou une couverture, je sais pas… C’est que je commence à avoir froid…
 
Oscar fixe sa main droite.
Il ne parle pas.
 
LE VIEIL HOMME – Oh, c’est comme si je mourrais…
 
Oscar le fixe.
 
LE VIEIL HOMME – Je n’entends même plus les oiseaux… Qu’est-ce que j’entends ?
 
Ce n’est rien.
 
LE VIEIL HOMME – Est-ce que c’est Mamie ? Dis-moi, Oscar… Est-ce que c’est Mamie qui arrive ?
 
Oscar le fixe.
 
LE VIEIL HOMME – Oh…
 
Sa voix devient un murmure inaudible.
Oscar se met à fixer les miettes de biscuit qu’il faisait tomber quand il mettait ses mains en entonnoir.
Il les regarde
et
d’un geste
d’un seul coup de pied sec
il écrase les miettes
 
LE VIEIL HOMME – Aaah !
Aaaah !
Mon coeur !
Aaaaaarg !!
 
Oscar avance lentement vers la fenêtre.
 
Aaaaarg !
Arg !!
Oscar !
Oscar !
Va…
 
Oscar ouvre la fenêtre pour faire entrer le froid qui émane de la nuit.
 
AAARH !
 
C’est un râle affreux.
 
Oscar…
 
Aaa…
 
Oscar prend un petit balai et une pelle.
 
Oscar…
 
Osc…
 
Il ramasse les miettes de biscuits et les jette dehors par la fenêtre.
 
Osc…
 
un soupir
 
puis, rien.
 
***
 
            Imparfait repose le téléphone sur son socle en toc, encore baigné par la frêle lumière du soleil couchant, et repart vers sa chambre, sans daigner s’aventurer dans les couloirs obscurs et labyrinthiques qui, constamment dans les ténèbres, brillent de leur blancheur sans aspérité.
            Sa chambre est juste à l’étage et, à peine ayant monté l’amusante spirale qui épouse le puits de lumière jaunâtre qui tombe du ciel comme une fleur valsante, il se dirige vers la porte. Sur la poitrine de celle-ci est indiqué avec des lettres multicolores et légèrement de travers son nom qui le surplombe depuis quelques années déjà : IMPARFAIT. Et son regard ignorant ces lettres invraisemblablement sensées et ses mains portant sur la poignée dorée qui le transcenderait à nouveau dans l’exaltation onirique, le petit garçon entre timidement, comme si quelque chose avait changé, comme si quelque chose aurait pu changer dans le temple de ses rêves…
 
            Un léger moment de contemplation…
 
            Rien n’a changé.
 
            Imparfait se pose délicatement sur le parquet brillant qui plonge, lentement, avec la langueur des vagues qui se retirent du monde, dans l’obscurité aveugle de la nuit. L’ombre envoie ses messagers d’un soir dans l’onde du temps qui passe, qui lasse, qui se tasse dans l’amertume opiacée de nos esprits volatiles ; le temps passe comme des voitures et l’ombre, la cécité éternelle pour une nuit durant, charge, armée de sa mélancolie.
 
       Allumez le phare, allez !
 
            Un phare apparaît soudain au milieu du plancher, contrant avec son orgueil amer les armées nocturnes qui envahissent petit à petit le plancher vétuste qui aspire à la lumière.
 
       Allez, allez, tous en rang !
 
            Les forces du jour, dans leur baroud d’honneur, lèvent leur lance, tous regroupés devant le phare, pour défendre le dernier vestige du temps.
 
       Guerriers ! Vous protégez votre famille, votre femme et vos enfants ! Ou votre homme, ou...

         Un petit temps.

         Imparfait reste le regard dans le vide quelques secondes.


         Guerriers ! Vous protégez votre famille, tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous chéri... chérissez, pour vous. Le monde attendait des hommes comme nous, des soldats prêts à tout, à la mort, à la défaite, car c'est dans la vision de la défaite que l'on voit la victoire.

            On entendrait des hurlements, des cris de guerre qui s'accumulent jusqu'à l'horizon, sans que l'on puisse distinguer une tête parmi l'amas des guerriers du jour.


         Aujourd'hui, nous vaincrons ! Aujourd'hui, nous triompherons ! Aujourd'hui, le jour sera notre roi et le soleil son épouse ! Et qu'aujourd'hui, la gloire nous guide !

            Hurlements.
           
            Le phare tente de percer les ombres en reflétant la lumière timide du soir, guidée par les hurlements des troupes, les véhémences clamées, indicibles, à en faire trembler le parquet fébrile.
 
       CHARGEZ !
 
            Et ils chargent, ils chargent, ils chargent avec la puissance des Anciens qui vit dans leur cœur, ils chargent, courant sur les plaines ocre illuminées par la splendeur spectaculaire du soir tombant, ils chargent  et


            un nuage apparait soudain


            le timide soleil du soir soudain s'évapore



            un temps




            On entend une voiture arriver, freiner, s'arrêter rapidement, une porte claquant juste après.

            Le temps passe comme des voitures.
 
 
***
 
            La clé tourne mécaniquement dans la serrure et avec sa langueur habituelle, elle ouvre paisiblement la porte d'entrée de la maison.
       Bonjour !
       Maman !
            Imparfait sort d'un coup de sa chambre et dégringole de deux en deux les marches de l'escalier.
IMPARFAIT – Maman !
 
MAMAN – Oh, mon petit… Tu vas bien ?
 
IMPARFAIT – Oui… Il est tard, t’avais dit que tu rentrais tôt…
 
MAMAN – Oh oui, je crois… Mais tu sais, Maman a beaucoup de travail !
 
IMPARFAIT – Mais mi, je m’inquiétais, j’avais peur que tu restes dans la nuit…
 
MAMAN – Mais non, regarde, mon chou ! Il commence à peine à être plus sombre. Viens là, je suis là…
 
            Elle enlace Imparfait dans ses bras et le câline tendrement.
 
            Pendant l’étreinte solennelle entre ces deux astres terrestres, on peut entendre des petites gouttes de pluie qui illuminent de leur son sirupeux les carreaux un peu sales des fenêtres.
 
MAMAN – Il commence à pleuvoir… Et personne n’est là ! Oh… est-ce que tu as vu Oscar… ? Je ne sais pas où il est, je ne l’ai pas vu de la journée… Et avec cette pluie dehors… Oh… il doit encore faire des bêtises… Ça ne me plaît pas du tout, ça. Tu sais où il est ?
 
IMPARFAIT – Non, Maman…Moi non plus, je l’ai pas vu…
 
            Maman commence à s’agiter brusquement et à ouvrir des portes dans la maison, comme pour découvrir dans un soupir d’étonnement le visage enfantin et impassible d’Oscar.
 
       Oscar ! Oscar, où es-tu ? Dis-moi où tu es !
 
IMPARFAIT – Je ne crois pas qu’il est dans la maison…
 
Elle se retourne brusquement.
 
MAMAN – Et qu’est-ce que tu en sais, Imparfait ? Tu es Oscar ? Tu as changé de couleur de cheveux et appris à faire tes lacets pour devenir Oscar, c’est ça ?
 
            Un temps.
 
            Maman continue sa recherche de portes à ouvrir.
 
       Oscar !
 
IMPARFAIT – Maman…
 
MAMAN – Quoi ?!
 
            Un petit temps où ils se regardent sans vraiment s’écouter.
 
       Oscar !
IMPARFAIT – Maman… Ne te fâche pas…
 
MAMAN – Cherche avec moi, plutôt ! Tu ne fais rien, là. Oscar !
 
IMPARFAIT – Oh, Maman, tu es toute blanche tout d’un coup…
 
MAMAN – Oscar !
 
            La pluie s’affirme davantage jusqu’à engorger la maison de son torrent sonore.
 
MAMAN – Oscar ! Oscar, où es-tu ?
 
IMPARFAIT – Il est pas là, je pense…
 
MAMAN – Oh… Oh, je me demande où est-ce qu’il a pu passer… Encore un peu et c’est la nuit… Et c’est impossible de le retrouver dans la nuit tellement c’est noir et opaque…
 
IMPARFAIT – Opaque ? Ça veut dire quoi ?
 
MAMAN – Comme s’il était caché dedans, en fait… Oh… Qu’est-ce que va dire Papa ?
 
IMPARFAIT – Elle est où Pascaline ?
 
            Maman fait un léger soupir. Elle s’avance dans le salon et se pose sur un fauteuil.
 
MAMAN – J’ai les pieds tout trempés, maintenant, regarde… Et j’ai mal, en plus…
 
IMPARFAIT – Tu as mal, Maman ?
 
MAMAN – Oui… va me chercher un verre d’eau, veux-tu ?
 
            Il hoche la tête sagement et va chercher un verre rempli d’eau.
 
IMPARFAIT – Tiens…
 
            Un temps.
 
            Maman s’est endormie.
 
***
 
PASCALINE – Allez, Fiffu ! Tu ne fais rien !
 
            Soupir.
 
            Elle le regarde les bras ballants, les yeux fixés, pieds nus sur le parquet vieilli de la petite pièce.
 
            Pas de fenêtre, pas de soleil qui se couche.
 
PASCALINE – Tu es fatigué, c’est ça ? On dirait que t’es tout essoufflé… Allez, allez, Fiffu ! Allez, bouge-toi !
 
            Pas d’autre bruit que celui du vieux frigo qu’on a entassé là par compassion comme un vulgaire vestige du temps.
 
            Un moment.
 
PASCALINE – Bon…
 

 
PASCALINE – On a assez joué, alors…
 
            Pascaline zieute la laisse rouge qu’elle tient sans forcer dans sa main droite. Elle la pose délicatement par terre.
 
Pascaline !
 
            Un regard lancé vers la porte.
 
Pascaline, c’est toi ? On te cherche !
 
            C’est Papa.
 
PASCALINE – Papa ? Papa, c’est moi. Tu m’entends ?
 
Bien sûr que je t’entends. Je t’entends très bien, même !
 
            Il ouvre tranquillement la porte.
 
            Pendant un moment suspendu, ils se regardent sans rien dire d’autre que leurs respirations synchronisées qui transcendent les vilains bruits du frigo comme un chœur chaleureux.
 
            Ils sourient.
 
PAPA – Allez, Pascaline. On t’attend.
 
PASCALINE – On m’attend pourquoi ?
 
PAPA – Tu n’entends pas la pluie qui tombe ?
 
            Elle hoche la tête.
 
PAPA – Il pleut beaucoup et on ne trouve pas ton petit frère, on cherche Oscar.
 
PASCALINE – Oscar ?
 
            Elle réfléchit un temps.
 
PASCALINE – Mais Oscar, il est parti chez Papi et Mamie…
 
            Un temps.
 
PAPA – Non, Liline… C’est juste Papi, maintenant, tu sais bien…
 
            Elle le fixe sans dire un mot.
 
PAPA – Il est chez Papi, alors ?
 
            Elle incline la tête.
 
PAPA – Bon, maintenant on sait où il est, c’est déjà ça… Allez, tu viens ?
 
PASCALINE – Je viens que si Fiffu vient avec nous !
 
PAPA – Fiffu ?
 
PASCALINE – Mais oui, Fiffu !
 
Un temps.
 
PASCALINE – C’est mon nouveau gentil chien !
 
PAPA – Ton chien ? Alors, non ! Il reste là. On a pas besoin d’un chien pour juste aller chercher Oscar !
 
PASCALINE – Mais Papa…
 
PAPA – J’ai dit non.
 
            Un temps.
 
PAPA – Allez, va chercher ton manteau et tes bottes, puis on y va. Zou !
 
            Et il s’en va, sans fermer la porte.
 
            Elle ne bouge pas.
 
            Un temps, histoire que les vilains bruits du frigo recouvrent l’ensemble de la pièce.
 
PASCALINE – Tu restes sage, hein, Fiffu ?
 
 
***
 
            Dehors, le linge pend encore sur le fil, flottant contre le vent, égouttant les fines larmes de pluie dans un concert de flaques. On l’a oublié comme on oublie sa simple respiration, dont le souffle embaume le monde de  son baiser glacial. Il reste là, perché comme un étendard perdu temps, perché à regarder de loin la masure blanche qui se perd peu à peu dans les effluves de l’obscurité.
            Le linge flotte, goutte et pleure jusqu’à regretter leur ombre scintillante, comme pour se rappeler de ce cadeau béni du soleil.
            Le linge s’oublie dans un monde en suspens.
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