Le Pare-tempêtes
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Pantouffe
Pantouffe
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CC N°36: Marée grouillante Empty CC N°36: Marée grouillante

Mer 7 Aoû 2019 - 22:45
Silenuse
Silenuse
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CC N°36: Marée grouillante Empty Re: CC N°36: Marée grouillante

Mer 7 Aoû 2019 - 23:31
– Allez, allez, prépare-toi !
– Mais on va où ?
– T’inquiète pas, t’inquiète pas… Prépare-toi juste… Après, regarde l’horizon !

Elles regardent toutes deux l’horizon.
L’horizon, c’est loin.


– Et après, je fais quoi ?
– Eh bien… On attend !
– Faut que j’attende jusque là-bas ?
– Là-bas où ?
– Là-bas, l’horizon.
– Oui.
– Mais c’est loin, l’horizon !
– Oui.
– Et je dois rien faire jusque là-bas ?
– Oui.
– Jusque l’horizon ?
– Oui.
– Putain…
– Oui.

Un temps.


– On peut pas faire quelque chose, en attendant ?
– Genre quoi ?
– Bah euh…

Elle regarde autour d’elle.

– Euh…

Elle regarde un peu plus intensément, comme pour trouver quelque chose d’un peu plus caché.

– Euh…
– Bah ouais, hein… On peut rien faire, hein !
– C’est trop nul…
– Bah ouais… Mais c’est comme ça !

Un temps, au cours duquel elles attendent toujours un peu plus.

– Je peux chanter ?
– Non.
– Roh…

On découvre, au loin, à l’horizon, un petit bout de terre qui dépasse.

– Ah, regarde ! La terre ! J’en pouvais plus d’attendre !
– Ça fait deux minutes…
– Ouais, bah c’est beaucoup !

Quelques secousses.

– Woh ! C’est qu’on commence à aller vite !
– C’est ta première fois ?
– Oui.
– Et tu as peur ?
– Oui.
– Ça va aller, ne t’en fais pas. Une fois arrivées, on repart aussitôt.
– Oui.
– Et tu te souviens de l’objectif ?
– Oui.
– Ça va le faire ?
– Oui.
– Tu as raison. Parce que ça va le faire. Oui. On va tous les buter.

Un temps.

– C’est ta combien-tième fois ?
– Oh, je sais plus, moi. Cinquante, soixante… Au bout de la trentième, on ne compte plus. On profite !

Ça commence à remuer fortement. Le rivage se rapproche et, au loin, on aperçoit une multitude de têtes plongées dans l’eau.

– Regarde. Il faut toujours commencer à regarder. Tu vois toutes les têtes là ? Il faut en viser le plus possible ! Et à la fin on compte ! Plus tu tues, mieux c’est !
– D’accord.
– T’es prête ?
– Euh… Là, genre maintenant ?
– Prête ou non ?
– Ben…
– On a pas le temps pour réfléchir ! Allez, allez ! On y va !

Elle commence à foncer, seule.

– Qu’est-ce que tu fais ? Allez ! Grouille !
– J’arrive !
– Grouille là !
– Mais j’arrive, euh !
– Grouiiiiiiille !

Elle accélère, faisant accélérer le courant lui-même.

– Aaaaah ! Ça va trop vite !

La plage approche.

– À moooooort !

La marée hurle.

– À moooooort !
– Aaaaah !

Et les vagues commencent à déferler sur la plage en tentant d’écraser le plus grand nombre de nageurs.
Mais la petite vague innocente s’écrase sur le sable déjà mouillé avant de repartir.


– Putain, Marine ! Tu t’es écrasée comme un bousin ! T’as buté personne ! T’es vraiment une grosse merde !
– Mais euh… Tu en as… tué beaucoup ?
– Cinq !
– Je suis trop nulle…
– Mais non, dis pas ça. T’es juste une grosse merde. T’en buteras plus la prochaine fois…
Pantouffe
Pantouffe
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CC N°36: Marée grouillante Empty Re: CC N°36: Marée grouillante

Mer 7 Aoû 2019 - 23:49
Ça n'a duré qu'un temps, mais je m'en souviens bien.

Le peuple pieux a envahie les chemins. Il a creusé des ornières sacrées qui racontaient son périple, et dans les traces de son passage il a laissé des os, des cendres, de la sueur, des larmes et du sang- tant de fluides que les ornières sont devenues des veines, charriant partout une mémoire liquide. Des prairies ont poussés en travers des sillons qu'ils ont creusé en marchant sur leurs genoux défaits, peau écorchée des milliers d'heures de prières, épiderme de tulle détricotés par la poussière des routes. Des océans de verdure ont jetés leurs ressacs sur les grands axes de l'exil. Déferlantes opiacées de pavots et franges d'orties duveteuses, douceur et résilience unies en une moisson- des champs se sont déployés à la suite des prairies massacrées par les épis de blé -l'or contre le carmin, le bronze contre le vert-, des villages ont germés en touffes de tuiles et de pavés aux croisements des chemins.
Partout où ils ont cheminé persistent néanmoins quelques étincelles de velours sur le bord des sentiers.

Le peuple pieux a semé durant son grand voyage des lignes enflammés de coquelicots dansants ; il a prié à ses façons diverses les dieux qui lui sont chers. Mais les temples de bois sec ont prit feu au fil des canicules, les autels de pierraille ont été envahis rapidement par la mousse, abattus par le vent... La pluie a cherché a effacé les traces de leur passage une salve après l'autre ; la terre a avalé toutes leurs empreintes sous la végétation et les tumeurs de boue.

Nul autre que le peuple pieux lui même n'a cependant mieux anéantis les témoignages de sa frugale existence, les signes de son long exode.

Ils n'ont jamais pénétré dans les villes. Ils ont traversé les royaumes en hantant leurs campagnes et bois. Ils se sont attiré la sympathie des sylves. Les forêts ont couvert leur avancée d'un pays à un autre, étouffé les bruissements de leurs marches, les chuchotements de leurs prières, elles se sont étendues dans leurs pas pour tenter de les suivre et d'échapper aux haches- elles ont voulu gagner avec le peuple pieux un pays où le fer n'aurait pas voix au chapitre des lois. Des vergers entiers ont pleuré pour le peuple une averse de fruits, afin de lui confier des semences d'espérance, et qu'ailleurs, sur une terre paisible, leurs descendants connaissent une existence meilleure. Des arbres suppliants ont poussé tendus vers l'horizon ; tendus vers le flot, tarissant, oscillant, des dévots emportés sur l'échine des chemins.

Les routes se sont laissé domptées, elles sont sont délacées, sont devenues malléables. Des routes élastiques, des routes flexueuses, sinueuses, souples et vives et longues... Ils ont mêlé leur sang à la poussière, et la poussière a répondue en métamorphosant pour eux toutes ses valses atones, ses danses lentes qui transforment le monde, une collision, un glissement, une fusion après l'autre... Leurs genoux ont aplatis les herbes, ils ont fendus les dunes et creusés dans la pierre... Ils sont parvenus à fracturer les plus petites composantes de la terre à force de prières, en amadouant les dieux ou les démons qui suivaient leurs cohortes.

(inachevé)


Dernière édition par Pantouffe le Jeu 8 Aoû 2019 - 12:30, édité 2 fois
Malnir
Malnir
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CC N°36: Marée grouillante Empty Re: CC N°36: Marée grouillante

Jeu 8 Aoû 2019 - 0:03


Le jour n’était encore qu’une écume blanche à l’horizon. La mer qui battait jusqu’à l’intérieur de Vyzerstadt déferlait en rouleaux mous et limpides sur les plages de galets à l’avant des quais. Lévine, Lugansk et Vendel l’observaient depuis leur table à la terrasse du café des Trois pêcheuses, petit troquet minable qui avait pour seul avantage d’ouvrir très tôt et de servir un café respectable. Pour combler leurs estomacs encore engourdis par la longue veille qu’ils avaient faite, on leur avait servi dans des gamelles à la propreté douteuse un gruau gris que rien ne pouvait rendre moins fade. Le poste radio qui était à côté grésillait. Pour l’heure, la radio d’État ne diffusait pas encore, mais ils guettaient chaque son suspect qui pouvait trahir le début d’une activité. Lévine, le plus corpulent des trois, frissonnait dans son grossier manteau de laine grise délavée. Le petit trio était du côté de la mer. Côté ville, les rues étaient encore poisseuses de sommeil, de déchets et d’une aube mal définie. Il n’y avait pas un chat, et il n’y aurait personne dans les rues avant longtemps. Ce jour là, Vyzerstadt resterait comateuse au fond de sa baie.

La marée commençait à monter, et avec elle, dans le jour levant, les grands oiseaux de mer dans un tapage confus, se rassemblaient en grandes formations blanches dans le ciel bleu délavé. Lugansk, de ses doigts rougis, bourrait sa pipe en ronchonnant dans sa barbe. Vendel quant à lui restait tendu comme un arc, prêt à bondir. Une horloge publique sonna sept heures. Au loin, le rugissement d’une locomotive entrant en ville à toute vapeur couvrit un instant les crépitements de la radio. Lévine, toujours grelottant, sortit un paquet de cartes et entrepris un coupegorge. Et la mer, à présent d’un noir goudronneux, engloutissait en gonflant les galets de la petite plage, relâchant à chaque reflux son haleine humide et puante. Elle sentait la charogne cette marée. La radio crachota indistinctement et soudain une musique lancinante, pleine de violons et de grésillements, s’éleva en quelques airs cinglants. Lévine se redressa et rangea ses cartes sans attendre et Lugansk tout en tirant de grosses bouffées qu’il soufflait en larges panaches de fumées, comme un dragon, caressa son épaisse moustache nerveusement.

La musique joua une petite demi-heure pendant laquelle le trio resta comme figé sur le qui-vive. Le patron du troquet vint leur servir un second café et s’éloigna, essayant de se figurer où il avait pu les voir par le passé. Enfin, les violons laissèrent la place à un silence crépitant. La mer léchait le mur de soutènement de la terrasse en grosses ondulations brunes, et seule l’odeur du café permettait d’en cacher un peu de la puanteur. On aurait cru qu’un millier de poissons crevés s’étaient rassemblés pour se déverser sur les rives. De l’eau sale émergeait parfois furtivement quelques formes désagréables, et Lévine finit par dire ;
« Le Parti ne te soutiendra pas, Vendel. »
« S’il reste un Parti aujourd’hui. »

Le silence se prolongea à peine quelques minutes, ponctué par la respiration sifflante de Lugansk qui expirait en longs soupirs d’énormes quantités de fumées de sa pipe noircie. Lévine pianotait des doigts sur le bord de la table, se mordant les lèvres. Quant à Vendel, il était presque figé, son visage dur indéchiffrable. Une voix métallique sortit enfin du poste :
« Votre attention citoyens de Vyzenia ; c’est le général Kavensk qui vous parle. Les émeutes dans Vyzerstadt sont maintenant terminées, l’ordre règne à nouveau dans nos rues. L’infâme complot de quelques factieux révolutionnaires a été éliminé, et ses têtes pensantes sont activement recherchées. Ceux qui auraient des informations à nous transmettre menant à la capture ou à l’élimination des dénommés Vendel et Lugansk seront récompensés à la hauteur de leur engagement patriotique... »

La suite n’avait plus d’importance. Vendel sembla rapetisser sur sa chaise alors que ses épaules retombaient et que son teint se faisait plus terne. Lugansk était devenu cramoisi et toussota sans arrêter de tirer sur sa pipe. Quant à Lévine, il carressait son front chauve de deux doigts tremblants, et bafouilla.
« J’ai eu Noske au téléphone plus tôt dans la nuit… il a l’intention d’assurer la survie du Parti en vous excluant de la direction et en se désolidarisant de vos actions. Il doit annoncer plus tard dans la journée que le Parti n’était pas pour le soulèvement que vous avez dirigé. »
« C’est lâche. »
Lugansk était un homme bourru. Ces mots, il les jeta à la face de Lévine sans un regard, sans douceur ni colère. Réduits à une constatation, ils en devenaient encore plus durs.
« Nous devons songer à l’avenir… mon dieu mais qu’est-ce qui peut puer à ce point ?! »

La réponse vint très vite ; la marée rejetait des formes contre les quais, sur lesquelles se jetaient en nuées ailées et blanches les mouettes et les oiseaux marins. Leurs cris plaintifs et le froissement de leurs ailes rendait le spectacle plus repoussant encore ; des dizaines de corps gonflés s’échouaient, provenant des embouchures voisine de la Grinerven et du Kolvig où se trouvait le cœur de Vyzerstadt. Vendel grogna.
« Nous aurions dû rester jusqu’au bout. On a commencé à fuir, on va devoir continuer. »
Lévine s’empressa d’assurer :
« Même si on ne peut rien officiellement, le Parti va vous y aider. »
Vendel se leva brusquement et fusilla du regard son compère.
« Pour fuir je préfère encore ne pas avoir à compter sur plus lâche que moi. Nous nous reverrons Lévine, quand les vyzeniens seront à nouveau prêts à se soulever contre leurs tyrans. Vous venez, Lugansk ? »

Lugansk mit quelques instants avant d’articuler un « J’arrive. »
Lévine s’était lui aussi levé, et avait sorti quelques piécettes pour payer les cafés et le gruau. Il plongea ses yeux dans ceux de Vendel. C’était un vieillard combatif, il avait été l’un des premiers révolutionnaires du pays. Il n’avait pas complètement perdu de sa vigueur.
« Mon garçon, vous êtes en colère, mais je vous avais prévenu que c’était trop tôt encore, et voilà où nous en sommes. Je désapprouve l’attitude de Noske mais nous n’avons en fait guère le choix. Maintenant ce qui compte c’est de pouvoir garder une force révolutionnaire dans le pays. Il importe que Lugansk et vous partiez, soyez en sécurité. Vous êtes populaire et on aura à nouveau besoin de vous quand on aura la force de s’opposer à l’État. Ne soyez pas trop prompt à juger vos camarades. Votre jeunesse n’excuse pas tout, à commencer par cette tentative révolutionnaire ridicule. »
Vendel resta quelques instants silencieux, les traits tendus, le visage rougi. Puis il lacha prise.
« Oui. Vous avez raison Lévine, comme toujours. Pardonnez-moi. »

Les deux hommes échangèrent une accolade fraternelle, puis Lévine et Lugansk qui se levait enfin. Le vieil homme, les larmes aux yeux, ajouta ;
« Prenez soin de vous, camarades. Maintenant partez. »
Silver Phoenix
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Jeu 8 Aoû 2019 - 0:29
Saka traînait lâchement ses jambes, son épaule soutenant une modeste canne à pêche, encombrée d'un gros sac pour collecter des poissons. Ses bottes en caoutchouc claquaient à peine sur le sol cimenté de la route. Sa main libre était profondément enfouie dans une poche de son long manteau imperméable pour la protéger de l'air froid, lourdement chargée en goutelettes d'eau fouettant sa peau à découvert, ainsi que ses yeux voilés de fatigue matinale et de lassitude.

Ella avait toujours vécu sur l'île de Koritsu. Enfin... La presqu'île de Koritsu. Enfin... Elle n'avait jamais vraiment su comment définir Koritsu. Plusieurs heures par jour, le seul chemin qui la séparait du reste du continent était submergée sur plusieurs kilomètres par une gigantesque marée, qui, fort heureusement, était extrêmement riche en vie. Des poissons de toutes tailles et de toutes sortes, certains réputés pour leur chair tendre et goûteuse, naturellement salée par l'eau de mer, d'énormes crustacés vendus hors de prix sur le marché, des algues d'un vert sombre ou d'un rouge flamboyant dont on vante l'aspect médicinal...

Sur sa route quotidienne, Saka passa devant de petits champs de culture, les divers fruits et légumes colorant un peu ce paysage gris et terne, mais rien qui ne le rendrait vraiment vivant. Les champs défilaient dans sa vue comme des illustrations dans un kaléidoscope. Juste une indication qu'elle ne se trouvait plus très loin de la marée.

Au fur et à mesure des pas, l'iode masquait l'odeur permanente du pétrichor embaumant l'île. De l'eau à perte de vue s'étendit dans son champ de vision, reflétant la couleur grise des nuages qui filtraient les rayons lumineux. D'autres hommes et femmes pêchaient, leur bacs et leurs sacs remplis de poissons variés. En soupirant devant ce spectacle banal, Saka eut presque l'impression que de l'eau liquide filait de ses narines.

C'était vraiment grouillant de vie. Et ça avait l'air pourtant presque mort.

Cela faisait plusieurs semaines que Saka était lasse, agacée par son quotidien et son île ordinaires et sans surprise. Elle s'approchait dangereusement des trente ans, mais elle avait ce sentiment qu'elle n'avait rien accompli de sa vie. Le plus loin où elle était allée se trouvait simplement de l'autre côté de la marée, une ville assez modeste.

Saka connaissait le goût de tout ce qui vivait sans l'océan autour de Koritsu, ainsi que celui de tous les fruits et légumes cultivés sur l'île. Elle avait fait le tour de toutes les recettes traditionnelles, et en avait même inventé d'autres par pur plaisir d'expérimentation. Les habitants de Koritsu avaient la réputation d'être simples, appréciant leur petit quotidien de pêche. Peut-être, mais Saka n'était pas comme ça.

Elle voulait voyager autour du monde, découvrir la nourriture étrangère, rencontrer des cultures quitte à en sentir le choc. Plus le temps passait, plus ses désirs la pressaient.

(inachevé)


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