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CC N°23 : Forêt infernale
Mar 23 Oct 2018 - 21:06
Ca va chier des feuilles
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Re: CC N°23 : Forêt infernale
Mar 23 Oct 2018 - 22:02
J'étais arrivé en Enfer sans faire exprès, « par voie de circonstances » on pourrait dire. Maintenant que j'y étais bien sûr il était plus difficile d'en sortir, même marcher était difficile, et ma pauvre carte ne me servait à rien. Pas qu'elle m'ait servi avant non plus, remarquez. Les repères étaient faux, les « lieux à voir » n'existaient pas ou ne ressemblaient à rien qu'à un foutu traquenard, enfin. J'ai eu tellement envie de la déchirer cette carte, de la manger, de l'arracher, de la laminer, de l'abandonner, de la piétiner, je l'exècre ! Je l'exècre ! Voilà comment je me suis senti plusieurs fois depuis ce matin. Vis à vis de cette carte. Et de ce foutu itinéraire. J'aurais mieux fait de rester là où j'étais et de ne plus bouger. Ne plus bouger. Ou faire demi-tour. D'où est-ce que je venais déjà ? Qu'est-ce que j'ai fait hier ? Voyagé aussi sans doute... Marché... Mais où ? Vu quoi ? Même aujourd'hui... Vu quoi. Une falaise à pic là où la carte annonçait une fête de la ville « Mariage ». Un champ désertique. Si, une fleur très jolie. Très jolie.
…
Et cette forêt infernale. Je crois qu'il y a mensonge sur la marchandise, qui m'a dit de faire ce voyage déjà ? En revenant je lui casserai la figure. Quelqu'un que j'aimais... Je ne sais plus.
Je ne me souviens plus des gens qui... Peuplaient, peuplaient, quoi ? Oh... Penser devient de plus en plus difficile, on dirait que la boue où s'enfoncent mes pieds absorbe mes pensées par les semelles.
Moral dans les semelles. Extraire, lever haut le genou, replonger. Où est la rive... Ah, elle s'approche. Elle s'approche. L'Enfer, hein. Allons. On va s'en sortir. C'est pas si terrible, de la boue, j'en ai vu d'autre.
La toile de tente est intacte, c'est un miracle.
J'arrête de penser, c'est trop douloureux.
Forêt. Forêt, voilà.
Les arbres à nouveau, l'odeur d'humus, les feuilles humides.
Je vais poser ma tente.
Les feuilles qui bruissent, les quelques gouttes qui tombent sur ma tête, agaçantes, amusées. Taquines. Je suis littéralement rempli de lassitude. On dirait que c'est ça que je bois à ma gourde, chaque gorgée un peu plus. Les bras m'en tombent, mes muscles sont las. Je vais m'asseoir un peu. Là. N'importe où.
Ah, je crois que je me suis assoupi. Hum. Bouche sèche. Où suis-je déjà ? Oui.
Oui, oui. Hum. Bon. Il est temps de reprendre la route.
Quelle heure est-il, déjà ?
Oui, il faut y aller. Je boirai en marchant. Ah.
Hm, déjà plus d'eau hein. Avec toute cette pluie...
C'est étonnant, mais c'est pas grave il y aura...
Je ne sais pas, un étang au moins. Je.
Attends, où est mon sac ? Mince... Il est tombé dans la boue, sans doute... Ah, je ne sais plus mais ça doit être ça ! Il faut que je le cherche, ma tente... Euh... Où est la boue déjà ? Mince...
Cette forêt, partout.
Est... intimidante.
Hum.
Où est la boue ?
Je, j'ai perdu mon sac... Et je devrais... Peut-être... Il fait froid, non ? Ah... Je n'ai pas de pull...
Et mes pieds... Mes pieds sont faits de boue séchée, oui !
Ah ah ! Oui ! Oui !
Mes piaeds trouveront la boue !
Qui se ressemble, se ressemble, me mène à la boue et au chaud !
Parce que je dois trouver... Le chaud.
Dans la boue.
Ou... Oui.
D'accord, alors...
C'est parti. Allons. Mes pieds. Un, deux. Un... Je me demande où je vais arriver. Ah, je n'avais pas un... Une... Carte ? Non, je dois l'avoir mangée et accrochée à un arbre, je crois. Ça doit être trop loin. Hm, hm, le trésor, au chaud...
Qu'il fait froid, je ferais mieux de me recroqueviller. Comme ça, je serai un animal moi aussi. Les animaux trouvent l'eau. Parce qu'il fait froid. Ah, mais le sol est mouillé pour mes mains... !
Mais tant pis, le froid est une armure contre le froid. Haha, je ne sens plus rien déjà ! Je suis très fort...
Alors. Voyons. L'eau. L'eau... Sur les feuilles il y a de l'eau...
… Bêrk.
Arh, berk.
Je n'aurais pas dû. Berk, dégoûtant. Pouah. Alors vers les étangs.
Euh... Par là. Il y a un arbre moche. Ses faeuilles sont... Ah... Ah, ce n'est pas un arbre. C'est...
?
Bon,...
Je, je ne vais pas.
Je vais chercher l'eau, oui. Hum. L'eau.
Ne pas regarder, ne pas regarder. Non : regarder l'eau. Devant il va y en avoir. Et le froid qui est partout, sur les plis mouillés de la chemise, sur le torse et les replis du ventre et dans le creux des bras qui se hérissent.
Recroquevillé, je suppose que c'est mieux.
Ah, qu'est-ce que je fais ? Il faut que je coure ! Qu'est-ce que c'est que cet endroit, je n'ai plus de tente, plus d'eau, plus de nourriture ? Je vais mourir ! Il faut être stratiégique... Je dois courir ! Je vais partir loin de cet aerbre, loin de... C'est... Ah.
Ah, ah ah. Oui, c'est vrai c'est une blague. Une bleague de l'Enfer. Qu'un de mes amis m'a dit de venir ici qu'il va y aveoir une grande fête. Hi hi... Je ferais mieux de les attendere, sinon ils vont se demander où je suis passé et ils vont mangaer le gâteau. Héhé, les méchants. Haha. Hahaha. Oui, recroaquevioé c'est mieux. Il y a moins le froid. Et l'eau du sol. Lap, lap. Hahaha. Berk. Hahaha...
…
Et cette forêt infernale. Je crois qu'il y a mensonge sur la marchandise, qui m'a dit de faire ce voyage déjà ? En revenant je lui casserai la figure. Quelqu'un que j'aimais... Je ne sais plus.
Je ne me souviens plus des gens qui... Peuplaient, peuplaient, quoi ? Oh... Penser devient de plus en plus difficile, on dirait que la boue où s'enfoncent mes pieds absorbe mes pensées par les semelles.
Moral dans les semelles. Extraire, lever haut le genou, replonger. Où est la rive... Ah, elle s'approche. Elle s'approche. L'Enfer, hein. Allons. On va s'en sortir. C'est pas si terrible, de la boue, j'en ai vu d'autre.
La toile de tente est intacte, c'est un miracle.
J'arrête de penser, c'est trop douloureux.
Forêt. Forêt, voilà.
Les arbres à nouveau, l'odeur d'humus, les feuilles humides.
Je vais poser ma tente.
Les feuilles qui bruissent, les quelques gouttes qui tombent sur ma tête, agaçantes, amusées. Taquines. Je suis littéralement rempli de lassitude. On dirait que c'est ça que je bois à ma gourde, chaque gorgée un peu plus. Les bras m'en tombent, mes muscles sont las. Je vais m'asseoir un peu. Là. N'importe où.
Ah, je crois que je me suis assoupi. Hum. Bouche sèche. Où suis-je déjà ? Oui.
Oui, oui. Hum. Bon. Il est temps de reprendre la route.
Quelle heure est-il, déjà ?
Oui, il faut y aller. Je boirai en marchant. Ah.
Hm, déjà plus d'eau hein. Avec toute cette pluie...
C'est étonnant, mais c'est pas grave il y aura...
Je ne sais pas, un étang au moins. Je.
Attends, où est mon sac ? Mince... Il est tombé dans la boue, sans doute... Ah, je ne sais plus mais ça doit être ça ! Il faut que je le cherche, ma tente... Euh... Où est la boue déjà ? Mince...
Cette forêt, partout.
Est... intimidante.
Hum.
Où est la boue ?
Je, j'ai perdu mon sac... Et je devrais... Peut-être... Il fait froid, non ? Ah... Je n'ai pas de pull...
Et mes pieds... Mes pieds sont faits de boue séchée, oui !
Ah ah ! Oui ! Oui !
Mes piaeds trouveront la boue !
Qui se ressemble, se ressemble, me mène à la boue et au chaud !
Parce que je dois trouver... Le chaud.
Dans la boue.
Ou... Oui.
D'accord, alors...
C'est parti. Allons. Mes pieds. Un, deux. Un... Je me demande où je vais arriver. Ah, je n'avais pas un... Une... Carte ? Non, je dois l'avoir mangée et accrochée à un arbre, je crois. Ça doit être trop loin. Hm, hm, le trésor, au chaud...
Qu'il fait froid, je ferais mieux de me recroqueviller. Comme ça, je serai un animal moi aussi. Les animaux trouvent l'eau. Parce qu'il fait froid. Ah, mais le sol est mouillé pour mes mains... !
Mais tant pis, le froid est une armure contre le froid. Haha, je ne sens plus rien déjà ! Je suis très fort...
Alors. Voyons. L'eau. L'eau... Sur les feuilles il y a de l'eau...
… Bêrk.
Arh, berk.
Je n'aurais pas dû. Berk, dégoûtant. Pouah. Alors vers les étangs.
Euh... Par là. Il y a un arbre moche. Ses faeuilles sont... Ah... Ah, ce n'est pas un arbre. C'est...
?
Bon,...
Je, je ne vais pas.
Je vais chercher l'eau, oui. Hum. L'eau.
Ne pas regarder, ne pas regarder. Non : regarder l'eau. Devant il va y en avoir. Et le froid qui est partout, sur les plis mouillés de la chemise, sur le torse et les replis du ventre et dans le creux des bras qui se hérissent.
Recroquevillé, je suppose que c'est mieux.
Ah, qu'est-ce que je fais ? Il faut que je coure ! Qu'est-ce que c'est que cet endroit, je n'ai plus de tente, plus d'eau, plus de nourriture ? Je vais mourir ! Il faut être stratiégique... Je dois courir ! Je vais partir loin de cet aerbre, loin de... C'est... Ah.
Ah, ah ah. Oui, c'est vrai c'est une blague. Une bleague de l'Enfer. Qu'un de mes amis m'a dit de venir ici qu'il va y aveoir une grande fête. Hi hi... Je ferais mieux de les attendere, sinon ils vont se demander où je suis passé et ils vont mangaer le gâteau. Héhé, les méchants. Haha. Hahaha. Oui, recroaquevioé c'est mieux. Il y a moins le froid. Et l'eau du sol. Lap, lap. Hahaha. Berk. Hahaha...
- Silver Phoenix
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Age : 26
Re: CC N°23 : Forêt infernale
Mar 23 Oct 2018 - 22:52
Une femme traînait ses pas, épuisée. Elle avait du mal à respirer correctement, presque suffocante. Les muscles de ses jambes tiraillaient douloureusement, la poitrine et les bras alourdis par le poids de ses émotions. Le goût désagréablement salé de sa propre sueur, déjà coulante par chaque pore de sa peau, envahissait sa bouche. Elle passait difficilement entre les arbres, sentant le craquement des feuilles mortes sèches sous ses pieds. La nuit régnait sur cette forêt, sans que la Lune ou les étoiles ne décorent par leur pâleur argentée le ciel d'un noir profond. L'obscurité était si absolue que les yeux de la femme étaient totalement inutilisables. Pourtant, la chaleur était écrasante, comme si le Soleil surplombait impérialement la forêt.
Il n'y avait jamais eu de Soleil ici.
Prise d'une volonté désespérée, la femme lutta pour que ses jambes lui obéissent, sans succès. Elle continuait de marcher, malgré la souffrance et l'épuisement, sans pouvoir se poser ne serait-ce qu'une seconde. Après tout, elle était condamnée à ce supplice...
La femme ressassait ses vagues souvenirs un court instant. Elle se remémorait de son réveil devant un groupe de créatures lui ressemblant, qui l'observait d'un œil très sévère. Ces dernières, d'une voix rocailleuse, racontaient avec un calme troublant ce qui semblait être sa vie antérieure, jusqu'à sa mort. Apparemment, elle avait commis un fratricide. Apeurée et déconcertée, et pourtant pas la moindre réminiscence de son ancienne vie, elle demeurait muette devant son inquisition. Elle avait tout oublié, même son nom.
"En raison de ton crime, tu es condamnée à errer seule dans la Forêt de Tulenyo, à la merci des ténèbres et de la chaleur, pour l'éternité."
D'un coup, elle se trouvait dans cet océan d'arbres, ces limbes de feu, son corps bougeant indépendamment d'elle-même.
(inachevé)
Il n'y avait jamais eu de Soleil ici.
Prise d'une volonté désespérée, la femme lutta pour que ses jambes lui obéissent, sans succès. Elle continuait de marcher, malgré la souffrance et l'épuisement, sans pouvoir se poser ne serait-ce qu'une seconde. Après tout, elle était condamnée à ce supplice...
La femme ressassait ses vagues souvenirs un court instant. Elle se remémorait de son réveil devant un groupe de créatures lui ressemblant, qui l'observait d'un œil très sévère. Ces dernières, d'une voix rocailleuse, racontaient avec un calme troublant ce qui semblait être sa vie antérieure, jusqu'à sa mort. Apparemment, elle avait commis un fratricide. Apeurée et déconcertée, et pourtant pas la moindre réminiscence de son ancienne vie, elle demeurait muette devant son inquisition. Elle avait tout oublié, même son nom.
"En raison de ton crime, tu es condamnée à errer seule dans la Forêt de Tulenyo, à la merci des ténèbres et de la chaleur, pour l'éternité."
D'un coup, elle se trouvait dans cet océan d'arbres, ces limbes de feu, son corps bougeant indépendamment d'elle-même.
(inachevé)
- Malnir
- Messages : 88
Date d'inscription : 18/09/2018
Re: CC N°23 : Forêt infernale
Mar 23 Oct 2018 - 23:18
Forêt infernale
La gare de Kneja disparaissait derrière des rideaux de grisaille et de pluie maussade, s’abattant en rideaux sur ses toitures de plomb, martelant les vitres de la grande salle donnant sur les quais détrempés, et où s’étaient réfugiés les voyageurs, en attendant l’arrivée du Vyzenia Express pour Czenin. Au sol, le carrelage habituellement d’un blanc éclatant était maculé de boue marronnasse, presque rouge, laissée par les bottes, les brodequins, les chaussures, les souliers des passants. La lumière dorée prodiguée par les lampes au gaz des lustres contrastait avec celle cendrée qui filtrait d’entre les nuages, et qui s’affaiblissait toujours plus à mesure que dix-neuf heures approchait. À dix-neuf heures vingt-cinq, le Vyzenia Express entrerait en gare et c’en serait fini de cette attente. Pour l’heure on se pressait toujours plus dans la salle, les bancs se remplissaient, des nuages de fumées parfumées issues d’une dizaine de cigarettes et d’autant de pipes venaient s’envoler en volutes vers le plafond, et le bruit des conversations montait en un bourdonnement toujours plus fort.
La porte s’ouvrit à nouveau, et cette fois ci les conversations baissèrent d’un ton avant de reprendre, le temps que tous aient pu voir le nouvel arrivant, et se soient habitués à sa présence. Et en effet, celui-ci intimidait. Grand, robuste, puissamment charpenté, vêtu d’un manteau de voyage fatigué et gorgé d’eau, passé par dessus une grosse chemise de laine et un pantalon tout aussi chaud rentré dans des bottes de cuirs craquelées, il promena son regard sur l’assistance et vint s’asseoir sur un banc près d’un petit homme rondouillard qui se recroquevilla inconsciemment, jeta son gros sac de jute au sol et resta quelques instants immobiles, paupières entrouvertes, adossé au mur. Son visage taillé à la serpe mangé par une barbe châtain lui donnaient un caractère rugueux, légèrement inquiétant. Et ses cheveux mi-longs et bouclés qui l’encadraient achevaient d’en faire un excentrique. En face, une vieille dame très bien vêtue repéra la petite broche écarlate qui ornait sa poitrine, et se pencha de côté pour en avertir sa voisine. Toutes deux, et bientôt tout le banc se lancèrent dans une discussion à voix basse sur ce détail plus inquiétant que tout le reste : un révolutionnaire. Leurs caquetages finirent par être si bruyant qu’il rouvrit totalement ses yeux bleu glacés et les cloua sur place d’un regard polaire. Le silence qui s’installa dans la salle ne fut plus troublé que par le crépitement de la pluie et le tic-tac de l’horloge jusqu’à ce que la rumeur du train approchant vienne progressivement emplir les lieux jusqu’à être un rugissement colossal.
On sortit en hâte, traînant derrière soit valises de cuir, sac de toile, caisses de bois et boites de carton. La pluie ne semblait pas vouloir se calmer et on monta en hâte dans les wagons d’un noir luisant, sans un regard pour l’impressionnante locomotive qui crachait sa vapeur et mugissait encore, même à l’arrêt. Les voyageurs montèrent avec soulagement dans ces couloirs lambrissés chauffés, ornés de globes de lumière aux teintes doucement ambrées. On trouvait sa petite chambre dans les première classes, avec tout le nécessaire pour l’hygiène et les rangements. Pour les secondes classes, c’étaient des compartiments aux sièges rembourrés pour être presque aussi confortables que des lits, et des sanitaires se trouvaient en fin de wagons. Vendel s’installa dans l’un d’eux, et se retrouva contre la fenêtre, en compagnie d’une vieille femme au manteau de fourrure défraîchie qui dormait à poings fermés à son arrivée et ne s’éveilla pas. Après quelques minutes d’agitation, le sifflet du chef de gare retentit et le train s’ébranla. Peu à peu, les bâtiments de la gare défilèrent, toujours plus vite, puis les petites maisons serrées de Kneja, et enfin les fermes et les cottages, à peine visibles dans la pénombre du soir.
La campagne filait sous les yeux de Vendel, masses floues de murets gris, de champs ardoises et luisants, de collines charbonneuses et de ciel souris balayés par les bourrasques, noyées sous les trombes. Les arbres à peine entraperçus par la vitre se ratatinaient en maigres serres de rapaces, les herbes et les blés s’enflaient comme des vagues tempétueuses, et tout disparaissaient avec la vitesse. Bientôt ces immensités planes cédèrent à la brousses et aux brandes, les arbres se groupaient par bosquets obscurs, puis en véritables bois. Le Vyzenia Express s’enfonçait dans la forêt de Velspalen, la plus grande de l’est du pays. L’obscurité dehors était totale, et Vendel s’endormit, bercé par les vibrations du train sous ses pieds.
Il fut réveillé en sursaut par une main qui lui secouait l’épaule. La vieille femme, sa voisine, était penchée sur lui et le scrutait avec intensité. Il n’eut pas le temps de dire deux mots.
« Le contrôleur vous a reconnu. Il est parti chercher la garde ferroviaire de l’autre côté du train. Un agent de l’État est avec eux, ils vont revenir vous prendre. Vous n’arriverez pas à Vyzerstadt en liberté si vous ne faites rien. »
Il se redressa, elle lui tendit un revolver qu’elle avait tirée d’une poche de son manteau.
« Allez, dans les wagons de transport, camarade ! Ils ne vous y chercherons pas. »
Elle le salua, un peu solennelle, puis elle reprit sa place et fit mine de se rendormir. Sans poser plus de question, il empoigna son sac, le jeta sur son épaule, sortit dans le couloir et partit d’un bon pas vers l’arrière du train. Le sol tremblait sous ses pas, et un coup d’œil par la fenêtre lui permit de voir qu’il était toujours dans la forêt de Velspalen. Il ne pleuvait plus et la lune carmine et crochue jouait entre les nuages fuligineux, pareille à la lame sanglante d’une faucille. Il arriva devant la porte de séparation entre les deux wagons, l’ouvrit. Au même instant, un cliquetis métallique dans son dos l’averti que les agents du gouvernement étaient sur le point d’atteindre le compartiment qu’il avait quitté. Il passa d’un bon de l’autre côté, referma le plus silencieusement possible et poursuivit sa progression dans ce nouveau couloir.
Il était à mis chemin quand il entendit la porte s’ouvrir à la volée, et il bondit dans un compartiment sur le côté. Des voix furieuses provenant du couloir se rapprochaient. Les trois voyageurs au milieu desquels il se tenait le regardaient, éberlués. Il se précipita vers la fenêtre, l’ouvrit d’une saccade, et le vent se rua à l’intérieur, glacé, arrachant un cri à l’enfant qui se cachait entre les jupes de sa mère. Dans le couloir, les bottes martelaient le plancher dans sa direction. Sans attendre plus, il se pencha à l’extérieur, plissant les yeux dans la tourmente, et referma ses mains sur la barre métallique qui courait au dessus des fenêtres, donnant sur le toit. D’une traction, il s’y hissa. En dessous de lui, les gardes firent irruption dans le compartiment, crièrent en voyant sa jambe dépasser. Une main essaya de se refermer sur lui mais il s’en dégagea, se redressa et entreprit de s’éloigner sur le toit. Il lui fallait échapper à ses poursuivants. Dans son dos, il pouvait les entendre grimper à sa suite, jurant et gueulant à pleins poumons. Un balle fusa, le manquant largement.
Prenant garde à ne pas glisser, il progressa avec le plus d’agilité possible vers l’arrière. Il sentait se profiler l’issue de la rencontre, alors que le train roulait dans un rugissement d’enfer, le ballottant de droite à gauche. De part et d’autre il devinait les masses dentelées des cyprès qui se pressaient le long des voix, et dont les branches les plus hardies auraient presque pu l’effleurer. Un nouveau coup de feu retentit, mais il ne sut pas où était partie la balle. Il courait presque, progressant toujours plus vers la queue du convoi qui se profilait devant lui en une ligne miroitante soulignée de pourpre par la lune. Il y arriva vite, très vite, et manqua de basculer dans le vide. Les deux rails d’acier filaient sous ses yeux, lames parallèles et froides, luisantes. Il fouilla du regard les abords du train. Rien ne pouvait le sauver en cas de chute de la mort. Le croissant purpurin de la lune jouait entre les branches noires d’encre des arbres, les fourrés en dessous se devinaient à peine. Il était fait. Il jeta un œil derrière lui. Les gardes n’étaient plus très loin, silhouettes mouvantes et oscillantes à chaque secousses. Il sortit de sa poche le revolver, retira le cran de sûreté, et visa. Le premier coup passa loin à gauche, et trois lui répondirent, le ratant à chaque fois. Le second coup frôla l’un des hommes qui chancela dangereusement avant de se reprendre. Et soudain le train ralentit, et il manqua de basculer en arrière. Il se rattrapa de justesse. Ils entraient dans une boucle précédent un viaduc enjambant une vallée. Celui qui reprenait son équilibre plongea en avant, heurtant durement le toit et basculant sur le côté dans un cri.
Vendel comprit que c’était sa seule chance. Il avait déjà sauté d’un train une fois, mais bien moins rapide que le Vyzenia Express. Or celui-ci venait de ralentir, et autour de lui il pouvait voir plus précisément les sous bois, épais tapis d’aiguilles, de fougères et de buissons. Il jura et sauta, fermant les yeux et se roulant en boule. Le choc l’assomma presque et il sentit son poignet se tordre douloureusement. Mais le train s’éloignait dans un grondement apocalyptique, et il sentit son visage fouetté par le souffle d’air. Il était toujours vivant. Dans les ténèbres, il se releva péniblement, et laissa son sac tomber de son dos. Son poignet était foulé, chaque centimètre de sa peau était contusionnée et il sentait ses bras lacérés d’éraflures qui le picotaient. Autour de lui, la forêt étendait ses immensités caverneuses et obscures, mystérieuse et inquiétante. Une odeur d’humus, riche et tiède, emplissait ses narines, accompagnée des parfums de champignons mouillés, de fruits blets et d’animaux morts.
Il fouilla à tâtons le capharnaüm qu’était devenu son sac, réussit à atteindre sa lanterne-tempête, se coupa sur le verre brisé de son globe et jura abondamment. Avec d’infinies précautions, il finit par l’extirper, trouver ses allumettes et l’allumer, éclairant les alentours d’une lumière dorée ondoyante. Il balaya du regard les environs, entrapercevant l’éclat des carapaces des insectes qui venaient s’enfouir dans les recoins de l’écorce ocre en frémissements soyeux, pour échapper aux éclaboussures de lumière. Nul trace de danger. Les rails filaient à sa gauche, à sa droite les ténèbres des sous-bois. Il s’assit au sol, cherchant délicatement des bandages dans son sac, qu’il finit par trouver. Il passa de longues minutes à se panser, avant d’enfin pouvoir envisager de partir. Il allait lui falloir marcher de longues heures en pleine nature avant de pouvoir espérer trouver un refuge et du repos. Ça n’aura pas été la première fois qu’il se retrouvait dans des situations aussi désagréables, et il se raccrocha à cette idée.
Il se marchait le long de la voie, clopinant légèrement, grimaçant si son sac venait taper dans l’une de ses nombreuses blessures. Les chouettes hululaient autour de lui, des chauves souries passaient en piqués autour de lui, pareilles à des mouchoirs dans les vent. Il faisait froid, il frissonnait sous ses vêtements de laine. Les kilomètres se succédaient au kilomètres, monotones et sinistres, interminables. Ses paupières se fermaient toutes seules et il commençait à craindre de devoir dormir dehors en pleine forêt. Mais, alors qu’il allait s’y résoudre, il discerna sur le bord des rails une misérables cabane, à peine un abris, sans doute une loge de garde forestier ou de chasseur, faite de planches mal ajustées. Mais un abris tout de même. Il s’y traîna, adressant des remerciements muets à sa bonne étoile, et poussa le battant. L’intérieur était vide, le sol de terre battue, mais au moins y était-il plus en sécurité qu’au dehors. Il referma sur lui, posa la lanterne au sol, puis son sac, et enfin s’allongea.
Le sommeil l’engloutissait, étrangement étouffant, comme les vapeurs musquées de Velspalen. Il lui venait des images de mousses, de champignons, de fleurs grotesques et de racines noueuses et blanches. Il sombrait dans ces images. Son esprit se désintégrait doucement, mais quelques pensées fulguraient. L’angoisse d’arriver trop tard à Vyzerstadt alors que partout on savait que la Révolution allait renverser l’État dans les prochains jours. Celle de mourir d’épuisement dans ces bois, ou d’y être capturé. Il lui faudrait encore passer plusieurs jours à traverser cette damnée forêt avant que d’atteindre Czenin, et seulement là bas il pourrait espérer rejoindre la capitale. Mais ses paupières brûlantes s’étaient fermées, ses dernières inquiétudes s’engloutissaient dans la bourbe des rêves, et il lui semblait entendre des bruits autour de lui, celles du Liudanskraus qui devait hanter les forêt profondes. Qu’il l’enlève et l’emporte dans les profondeurs oniriques où il habitait, songea-t-il à moitié halluciné alors que ses derniers écheveaux de conscience s’envolaient dans des rêves fiévreux.
(à suivre ?)
- Pantouffe
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Date d'inscription : 27/08/2018
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Re: CC N°23 : Forêt infernale
Mer 24 Oct 2018 - 0:57
Taré, tordu et irrécupérable, même en ces temps, même en ces lieux. On s'accordait à dire de Jim qu'il n'y avait plus rien à en tirer, plus rien de bon en tout cas. C'était pas seulement son odeur de macchabée arrosé par la pluie ou sa dégaine pouilleuse- ça allait même au-delà de ses sourires en dents de scie qui vous filaient des frissons à l'échine, comme si ses dents grinçaient en concerts de couteaux aiguisées sur la barbaque de ses gencives sanglantes, et ça dés qu'il nous faisait l’insigne honneur de nous les déployer. Nan, y avait un truc qui n'était pas contenu dans son apparence même, bien qu'entre vous et moi, il avait la sale gueule la plus antipathique que j'ai jamais croisé. Mais j'aurais pu, et je pense, les autres aussi, lui passer sa désagréable carcasse de momie des marais, qui craquait et suintait de partout avec chacun de ses gestes, sa carcasse de crash test, mal modelée, qu'était qu'une gueulante d'os mal emboîtés sous un torrent mort de sueur collante, un distillat glaireux de transpiration, vieille et nouvelle qui marinait dans tous les creux de son corps scandaleusement chiche de matière à sculpter, sauf à chercher le calcaire du squelette. Si ça s'était arrêté à ses sordides caquètements d'articulations qui nous faisaient comme des chants de moineaux au réveil, mais en moches, et à ses grimaces de coutellerie humaine, je pense que les gars et moi même aurions pu tolérer sa présence. On avait tous nos manies après tout. Auguste avait besoin de se raconter des histoires à lui même et aux autres, parce-que c'était ce qu'il savait faire de mieux, Octave ne pouvait pas s'endormir sans qu'on lui chantonne quelque chose en caressant ses cheveux, Florient s'octroyait le droit de faire la fine bouche alors qu'on crevait de faim, Marius essayait de sculpter dans la boue quelque chose de beau, un peu en vain, Dodon avait la saleté en horreur et passait ses journées à astiquer ses bottes avec des chiffons déjà noircis de crasse, sans sembler se lasser de la vacuité du truc, et je pense qu'il prenait plaisir à toujours trouver des nouvelles tâches, puis moi... ben vous n'aurez qu'à demander à l'un d'entre eux, parce-que je n'en dis trop que sur la vie des autres. C'est bien pour ça qu'on en est là d'ailleurs, pas vrai ? Je suis le seul à vouloir en parler. C'est pas qu'il faut des couilles, c'est qu'il faut une grande gueule... Et vous voyez, je vais vous confesser un truc, au moins un, on m'appelait l’Hippopotame, parce-que la mienne était immense. Elle s'ouvrait pour bailler des sommes astronomiques de mots, et pour ingurgiter des quantités de bâfre vraiment invraisemblables. J'avais de grands poumons à froisser. Je pouvais braire plus fort que n’importe qui, et puis d'accord, j'ai toujours eu des dents un peu carrés. M'est avis qu'il y avait aussi une moquerie à l'encontre du cailloux précocement foutu à poil qui surplombait mon front. Mais les gars savaient que j'étais susceptible à ce propos, alors on s'en est toujours tenu à blaguer sur le reste. Devant moi en tout cas, mais ça m'empêchait pas d'envier les cheveux trop délicats d'Octave.
(teasing sale)
- Blouby
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Date d'inscription : 29/09/2018
Re: CC N°23 : Forêt infernale
Jeu 25 Oct 2018 - 13:17
C'est vraiment tout nul, j'ai vraiment chié pour le coup. Mais bon, le jeu c'est de rendre même quand c'est tout nul et qu'on a chié. Donc voilà
Lien : Petite musique pas bien sur le thème Forêt Infernale.
PS: BOUDIOU ! Le google drive même pas capable de lire de l'AIFF. Téléchargez le truc et lisez avec VLC, pas la peine de "convertir le fichier audio".
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