Le Pare-tempêtes
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Pantouffe
Pantouffe
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CC N°16 Thème 86 : La Musique du silence. Empty CC N°16 Thème 86 : La Musique du silence.

Jeu 20 Sep 2018 - 20:50
PAR MALNIR






Les dernières notes de l’orchestre restèrent encore en suspens quelques instants, avant que la salle ne soit engloutie sous les hourras et les applaudissements, vague bruissante qui léchait alternativement chaque extrémité des gradins. Les spectateurs se levaient, enthousiastes, frappant dans leurs mains à s’en faire mal. Quelques fleurs jetées des loges s’échouèrent mollement sur le devant de la scène, épaves charmantes et colorées. La cantatrice dans sa robe rouge et moirée s’inclinait sans cesse, souriante, son chignon un peu défait, les joues rosies par l’émotion. On lui tendit un bouquet de roses, elle le tint pressé contre son cœur ; à côté d’elle, le chef d’orchestre, vieil homme en grand costume à jaquette, faisait de même, plus lentement. La fièvre du concert retombée, ses gestes redevenaient ceux, hésitants, d’un vieillard épuisé par une rude soirée. Les musiciens, solennellement levés, souriaient vaguement, se félicitant du regard. Enfin le public s’essouffla, et peu à peu la salle se vida dans un brouhaha chaleureux.

Dehors, la nuit était tiède, comme seules les nuits d’été peuvent l’être ; la promenade littorale était pleine de monde, de lumières ; les bars ne fermaient pas avant deux bonnes heures, et sous les chênes, les aulnes et les tamaris des terrasses, on servait encore de nombreuses tablées, bruyantes et animées. Les réverbères diffusaient une lumière dorée. Le campanile d’une église sonnait la minuit et demie. Une odeur de sel, d’écorce de pin, les parfums de la mer venaient chatouiller les narines des promeneurs. On descendait les marches de marbre du philharmonique sans se presser, goûtant à l’ambiance festive et excitée que laissent les spectacles à leur fin. Déjà ceux qui étaient venus en groupes commentaient avec force gestes leurs impressions. Mais ceux là manquaient une part de la magie propre aux concerts ; leurs musiques flottent encore dans l’esprit quand elles se sont évanouies dans l’espace depuis de longues minutes.

Conscient de cet aspect, je m’étais attaché à ne plus me rendre que seul aux évènements musicaux. Quand la salle se vidait, je traînais un peu pour que mes oreilles se plongent doucement dans le silence revenu, puis s’en nourrissent. Alors des fragments éthérés des mélodies jouées me revenaient, évanescentes comme des spectres alanguis. Accompagné de ces chimères sonores, je sortais, gouttait à la brise et à l’air de la Ville, puis obliquait bien vite pour plonger vers l’intérieur des terres, dans la vieille ville ; là où elle était naît, voilà plusieurs milliers d’années. Les hauts édifices qui se pressent le long de ses charmantes venelles en portent encore le souvenir. Hautes colonnes de porphyre, fontaines de marbre phrygien, baies géminées en plein cintre, ogives, vitraux illuminés par les cierges, arcs boutants, pinacles, toits pentus de tuiles et d’ardoise, dômes dorés, clochers élancés… Une plongée dans les époques s’offrait à moi, et dans le silence de ces lieux déserts à ces heures, la musique jouée par ma pensée venait se superposer à ces architectures superbes, aux statues, aux figuiers, à tout ce qui participait de l’ambiance de la vieille ville.

Ce soir là, je rejoignais les quais du fleuve, orné de sculptures ailées, enjambé de nombreux ponts graciles ou majestueux, ses flots parcourus en trilles par les reflets des lampadaires ainsi que les traits d’un pinceau d’un impressionniste. En journée, les rues étaient envahies par une foule de visiteurs, de marchands, d’habitants aussi. Mais la municipalité, pour la tranquillité de ces derniers, faisait fermer de bonne heure les bars dans cette partie de la ville, reportant l’activité sur le front de mer. J’y trouvais mon compte ; ainsi mes déambulations étaient à peine troublées, et bien souvent les plus bruyants étaient les nombreux chats de gouttières, ombres le plus souvent furtives, présence bien réelle et attentive, une vibration. Je traversais le fleuve, trois fois, en long mouvements. Je commençais à quitter le vieux quartier ; la cathédrale et ses neuf flèches, dressée au sommet de la butte où son cimetière s’étageait encore en terrasses verdoyantes et mélancoliques -combien d’après midi avais-je passé là bas ? -, se trouvait à présent dans mon dos, sa silhouette élancée se découpant dans le halo orangé des lumières citadines. Si j’avais en tête des symphonies glorieuses, celles des romantiques russes, elle aurait formé le point d’orgue de ma déambulation. Mais la musique était plus douce, elle appelait une sensualité mêlée de légère dissonance, une douce ironie qui ne lui aurait pas convenue. La lune venait miroiter derrière son plus haut pinacle, se voilant derrière de cristallins nuages.

J’obliquais insensiblement vers la colline, accompagné par les trémolos un peu crissants du premier violon. Je suivais ses lacis en tachant de suivre sa complainte ; montait-il dans les aiguës, je montais quelques escaliers tortueux, que je n’hésitais pas à redescendre lorsqu’il faisait de même. Enfin j’arrivais sur une place occupée en son centre par une grande fontaine. Là avait vécu un ami, chanteur dans une chorale et à présent parti, peut être dans une autre ville ou une autre vie. Lui non plus n’avait jamais vécu dans le silence ; le sien était peuplé de sopranos, de ténors ou de barytons. Je m’éloignais vite ; les souvenirs qui venaient se mêler à ma musique m’emplissaient d’un vide que je ne voulais pas sentir. Alors peu à peu je me perdais dans les rues comme dans les circonvolutions du dernier air qu’avait interprété la soliste ce soir là. Des cloches sonnèrent deux heures, puis trois. J’aboutissais abruptement devant mon immeuble, vénérable édifice du siècle passé et à l’enduit effrité. Alors la musique silencieuse s’évanouit véritablement, me laissant seul. Je reprenais mon souffle avec avidité, mes mains s’agitaient nerveusement le long de mes jambes tandis que j’approchais. J’ouvrais doucement la porte écaillée, pénétrait dans le vestibule obscur, grimpait lentement les escaliers grinçants, m’interrompant, le cœur battant, quand une de ses marches venait à trop gémir. J’arrivais enfin sur le palier, introduisait la clef dans la serrure, la tournait, entrait. Je n’allume pas la lumière et me déshabille dans le noir, le bourdonnement du groupe électrogène commence à se détacher de la masse muette et obscure qui m’entoure. Je me couche, me tourne une première fois dans mes draps. Une seconde fois. Une troisième… peine perdue ; j’entends le voisin du dessous qui ronfle.
Pantouffe
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CC N°16 Thème 86 : La Musique du silence. Empty Re: CC N°16 Thème 86 : La Musique du silence.

Jeu 20 Sep 2018 - 20:51
PAR PANTOUFFE


J'avais toujours cru qu'il lui manquait une case- celle pour ranger tout le bon sens commun et quelques bonnes idées pour ne faire dans la vie que quelques pas de travers,  et pas toute une marche en zigzag d'une trébuchade à l'autre. J'avais toujours pensé qu'il  avait dans les yeux tout le néant de la stupidité. J'avais toujours dis que moi ah non, je ne serais jamais amis avec un type pareil. Il y a une rythmique dans les battements de paupières.

Il y a une chorégraphie dans la gestuelle des mains, et aussi dans la marche, dans la torsion des pieds, les mouvements de pendule des gambettes qui s'affolent- tic tac un pas. Il y a des percussions dans l'articulation, un solfège en braille aux lèvres qui s'étirent (papier musique griffé, froissé, vivant et embaumé), se modulent, se haussent, s'écrasent et se lovent dans un sourire en croches, courbe d’accordéon, dents en grappes de clochettes. Il y a du bruit dans chaque plissement, chaque contraction du corps. Des mélodies en bataille foisonnent au gré de ses lignes- des pistons jouent, articulés, des cordes vibrent, tissées de chair molle.C'est une tension musicale, un affolement des muscles, un heurt des mécanismes carnés et subtils. Hardes de notes en fracas lors des bonds mélodiques, une course de gazelles qui dérapent sur les nerfs : le corps chante sans sa bouche, la vie se raconte sur un tempo visuel. Pulsations, bousculade des muscles et des os. Il y a une musique dans le mouvement. Il y a une musique dans la vie- et elle se voit avant de s'entendre. Elle se touche et se ressent chair contre chair, sur les paumes, sur les doigts, parvient à la peau au lieu d'heurter le tympan. C'est de la musique qui vibre dans l’œil, qui percute la rétine et résonne dans l'orbite.

musique dans la catastrophe,  vibration de la pierre, déplacement de la poussière, musique des rais de lumière (comme les lamelles d'un piano ou cuivre piston des saxophones ), gorge instrument glorieux, veines gorgées de musique, lèvres pulsantes (ruades du sang)
(inachevé)
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CC N°16 Thème 86 : La Musique du silence. Empty Re: CC N°16 Thème 86 : La Musique du silence.

Jeu 20 Sep 2018 - 20:54
PAR HOREMAKHET



Dans les codex poussiéreux que le moyen-âge nous a légués,  au fils de ses lectures, l’érudit bienheureux se heurtera peut-être à une étrange enluminure, celle d’un oiseau d’une race indéfinissable au plumage de charbon et aux yeux d’améthystes. On le figure les ailes déployées, trônant au cœur d’une sarabande gothique de corps dolents qu’il
semble attirer vers les ténèbres de la tranche. C’était l’illustration d’une maladie que le cartésianisme a éradiqué de nos mœurs et du domaine du crédible. C’est la représentation des danses macabres dont des villages entiers ont été saisi, à croire les anciennes chroniques.  
C’est dans un minuscule pays de Prusse , du temps ou l’expression « querelle d’allemand » avant encore du sens dans un monde habitué jusqu’à l’indifférence aux incessantes chamailleries de l’archipel teuton, qu’eut lieu l’ultime résurgence de ce curieux phénomènes qui faisait se dandiner d’honnêtes chrétiens jusqu’à leur tombeau.
Le duc Othon III rentrait crânement d’une fructueuse chasse. Il était jeune ; l’œil vif et le bras leste. Sauf en matière de justice et d’impôts, où les bourgeois trouvaient plutôt à redire. Mais cela ne l’empêchait pas de dormir. En vérité, il avait trop de sujets de jouissances pour se préoccuper de calculs d’épiciers ; les routes et les frontières étaient
aussi sûres qu’il pouvait le souhaiter, ses argentiers le laissaient en paix et puisaient peu dans la caisse, ses ministres ne complotaient pas,  l’arrivée prochaine d’une ambassade byzantine promettait de remuer une cours qui bâillait à s’en décrocher la mâchoire,  le ventre de son épouse s’arrondissait doucement et surtout, il avait capturé un superbe cygne aux plumes étrangement bistres et aux yeux d’améthystes.
Il arrivait avec sa suite en vue du pont-levis du château, quand il vit qu’un homme lui barrait la route. D’excellente humeur, le duc mis pied à terre pour s’adresser à celui qui selon toute vraisemblance était un de ses
serfs, et de l’extraction la plus humble. Les bras ouvert, l’air affable, il n’eut pas le loisir défaire trois pas que l’homme, au visage buriné et à la chevelure grise leva une main interdite.

« Relâche mon enfant, ou tu t’en repentira.

-Ou bien tu plaisantes douteusement, ou bien tu es fou, vieil homme ! Répliqua encore chaleureusement le duc.  Je chasse le gibier à la pointe de mes flèches, et je laisse mes sujets au fer du  bourreau.

L’inconnu désigna du doit le tombereau où on avait disposé les prises du jour, sous une toile pour éloigner les mouches. Parmi les canards, les faisans et les daims, il y avait le grand cygne, taché de sang et immobile.
 
-Voilà une curieuse manière de mendier, vieux drôle. Mais ces bêtes sont à moi. Je les ai abattus après une longue course, et si tu veux y goûter, présentes-toi demain à la poterne. Les servants de réserveront quelques
restes.
Le vieillard s’était approché de du cygne. A travers le filet, il caressa  long cou inerte de l’oiseau, puis  se retourna. Son visage faisait peur à voir, et sa voix était caverneuse.

« Tous ce qui te procurait la joie fera ton malheur, tout ira de mal en pis autour de toi, et ce n’est qu’en rendant une vie que tu conjureras
le sort »

Il s’avança vers le duc, soudain menaçant et comme grandit par une colère inhumaine. Voyant cette figure de ténèbres, le duc se défendit. Il tira son sabre à lame recourbé, et frappa d’estoc.  
Il ne sentit ni la moiteur du sang, ni le choc sourd d’un corps qui trébuche et s’effondre. Un voile noir tomba sur ses yeux, comme s’il y avait eu une éclipse, puis un souffle balaya les feuilles et le fit tomber. Quand il se releva, il n’y avait aucune trace du maléfice, et si ce n’était les visages effarés de sa suite, le duc aurait cru qu’il avait cauchemardé.
Seulement, il jeta un regard du côté du tombereau à gibier. Au milieu des dépouilles, à la place du cygne bistre, il y avait un jeune homme vêtu d’un pourpoint de velours noir qui le dévisageait curieusement.

[…]

Evidemment, Je n’ai pas eu le temps de rédiger la suite. Dans les grandes lignes, c’est une succession de calamité pour le duc, avec à chaque fois le jeune homme qui « sauve les meubles ». Sa femme meurt
en couche, mais sa fille est sauvée. L’ambassade byzantine (Fufufu…) présente à la cours une hydraule dans la musique déclenche une sarabande macabre, mais encore une fois l’instrument et détruit par le garçon. Lors d’une partie de chasse, la fille du duc manque d’y laisser la vie, si ce n’était le jeune homme. Le duc comprend que ce qui conjurera la malédiction, c’est d’unir le garçon muet et sa propre fille, mais s’y refuse par orgueil et sentiment d’injustice. Quand le jeune homme le comprend, il répare l’hydraule dont les ruines étaient consignées
dans une tour du château, et une nuit il en fait retentir la musique, avec les conséquences prévisibles, dont la mort de la fille du duc qui malgré sa surdité aura dansée jusqu’au trépas.
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