Le Pare-tempêtes
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Pantouffe
Pantouffe
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CC N°6 Thème 95 : Lémoné Empty CC N°6 Thème 95 : Lémoné

Jeu 20 Sep 2018 - 15:58
PAR HOREMAKHET

Il y a certaines dispositions de l'esprit qui nous poussent à engendrer d'étranges réflexions, à nourrir d'improbables songes. On à le malheur de rêvasser, de lâcher la bride à notre fier cartésianisme et nous voilà retombés en enfance, à dériver doucement et péniblement déraisonner. Dans ces moments, notre pensée, c'est le terrier de lapin de Lewis Carroll. Il paraît qu'elle peut être profonde, sibylline et subtile. Je n'y crois pas : ce qu'on prend pour de la profondeur, voire du génie, c'est de la chance au tirage. C'est l'ordre dans le délire, le délire dans l'ordre. On tombe, on choit, on tend les bras et on attrape un mot au hasard. Tient, cette fois c'est "Lémoné" ! Cela aurait pu être pire, ou mieux. Comment travailler ce matériau-là ? Le ciseau pour le marbre, le marteau pour le fer, l'aiguille pour l'étoffe, la langue de bois pour la politique, mais pour "Lémoné", il faut se lever tôt.
Tentons une première saignée : essayons l’étymologie. Après tout, "Tout ce que les hommes ont dit de mieux a été dit en grec". Alors si Lémoné a été bien dit, il l'a d'abord était en grec

...

Oh, Malheur ! horresco referens, les Grecs n'ont pas dit "Lémoné"...! Que les cérastes et les Érinyes lacèrent ce borborygme barbare !

Quoique, halte ! En vérité, c'est heureux, au moins n'ai-je pas achoppé sur une perle de la dialectique humaine, l'honneur est sauf, je ne passerai pas pour un âne.

Voyons, si l'étymologie est impuissante devant ces trois curieuses syllabes, et que le danger de froisser les cuistres est écarté par l'invraisemblance même du propos, je peux sans rougir verser dans les calembours rances et la consonance interlope. Ouvrons le bal : Melnibonée ? Les monnaies ? Les monets ? L'émo née? Les mollets ? Lemme auner ? L'aime au nez...? Assez, rien de trop, c'est suffisant pour une première fournée. A l'étude, maintenant.

Lemme Auner ? Cela n'a aucun. Quoiqu'il doive être possible d'auner le lemme, pour un grammairien téméraire. De même, on aime rarement quelqu'un à son nez, sauf si l'on s'appelle Nicolas Gogol, ou que nez en question est mutin ; auquel cas il est charmant et emporte tous les suffrages...."Le calembours est la fiente de l'esprit qui vole", disait le grand homme. Situation enviable que de voler, moi je continue de tomber et même la consonance n'est d'aucun secours ! Jugez vous-même : s'il est acceptable d'être fier comme bar-tabac, il est douteux d'être laid comme Monet, qui par ailleurs était beau. Ou du moins tolérable et propre sur lui.

Vraiment, je ne sais que faire avec ce Lémoné. Il faudra me le présenter.
Pantouffe
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CC N°6 Thème 95 : Lémoné Empty Re: CC N°6 Thème 95 : Lémoné

Jeu 20 Sep 2018 - 15:58
PAR MALNIR

Il est des terres de neiges et de glaces, des terres terribles et infertiles, des terres où rodent les bêtes, des terres où la peste frappe. Il est des terres de sable et de soleil brûlant, des terres de paix, de rois et d'empereurs puissants. Il est des terres où il fait bon vivre, des terre où chaque jour est une souffrance.

Il y a Lémoné.

Une terre douce-amer. Une terre de pluie tiède, d'orages doux. Une terre où la terre est tendre et collante, rouge comme une glaise ou comme de l'argile. Le ciel en est bleu clair, sillonné de nuées blanches. Parfois une tempête naissant au cœur du Lac central gonfle et recouvre la région comme une couverture ombre-brûlé. Alors le vent souffle, fait ployer les roseaux, les aulnes et les paludiers, couche les herbes grasses et les blés des champs épars. Il rafraîchi pour un instant l'air doux du pays. Il remonte les collines et leurs forêts de châtaigner, de pins parasols et de chênes mêlés. Il vient tempêter doucement sur les plateaux nus et ras où paissent les troupeaux de moutons, au milieu des buissons de genêts ou de bruyère. Il arrive enfin sur les flancs abrupts des montagnes aux flancs ombragés de robustes conifères et vient mourir sur les sommets gelés et blancs. La pluie arrive, et l'orage avec elle. Elle mouille la terre, la rend molle et grasse. Puis l'ondée passe et le soleil brille sans ardeur et sèche les pierres humides, les plantes mouillées. Le héron, le martin pécheur, le colibri, le merle, la grive, le rossignol, le rouge gorge, l'hirondelle, la mésange... tous les oiseaux sortent de leurs abris et font résonner leurs mélodies sous les frondaisons. Alors l'homme aussi ressort, et reprends son labeur.

Il est des routes défoncées en Lémoné, serpentant entre les monts et les collines, traversant sur des chaussées de pierres moussues les marécages des basses terres. Elles relient entre eux les hameaux de chaumières de bois et de torchis, les petites villes aux demeures hautes et étroites, aux toits pentus, aux encorbellements successifs ombrageant les rues boueuses. Elles rejoignent les ruines des hautes cités de pierre, dont les décombres de gré rouge émergent encore de sous le sable et l'eau des lacs. Là, seul le silence répond au voyageur, et des chaos de pierres effondrées émergent parfois des sculptures d'êtres déshérités, mornes, qui parfois savent toucher de leur étrange mélancolie ceux qui les voient. Les arches brisées, les colonnes effondrées et les palais ruinés se dressent encore, dressant des doigts mutilés vers un ciel indifférent. Quand le crépuscule l'embrase, ces vestiges s'effacent dans l'obscurité et bientôt ne reste que le silence. Ainsi voyage-t-on en Lémoné

Sur les crêtes qui entourent le Lac central se dressent fièrement les châteaux de Lémoné. Leurs murailles de brique ou de pierre rougeoient sur les sommets, visibles de loin pour les voyageurs fatigués. Les guerres auxquelles se livrent leurs seigneurs ne touchent qu'eux. Dans les lits fangeux des rivières qui découpent ces monts reposent leurs squelettes blanchis et leurs armures rouillées que le limon remplis jusqu'à les engloutir. Les batailles sont rares, rapides et sans effet. On les fait par habitude, comme tout ce qu'on fait en Lémoné. Le paysan les oubliera dans les mois qui suivront, et jamais n'aura été inquiété par celles-ci. Le blé dore invariablement, la farine blanche en résulte toujours, et on en fabrique ainsi le pain et les galettes qu'on partage au repas le soir depuis des générations. Rien ne vient troubler le quotidien du peuple de Lémoné. Ni les grandes guerres des empires si lointain, ni les pestes, ni même les famines. L'été passe, l'automne suit et offre ses fruits, ses noix, son vin, puis l'hiver vient et on abat le cochon. On fait des boudins, des jambons. On mange et on raconte des histoires au coin du feu pour se réchauffer. On file la laine des moutons pour passer le temps et se faire de chaudes couvertures et de bons vêtements. Puis le printemps vient. Les jeunes gens se charment, s'embrassent, les mariages sont parfois célébrés. Des nourrissons viendront bientôt s'ajouter aux petites communautés. Et ainsi passent les années en Lémoné.

Parfois un village ne donne plus de nouvelles. On s'y rend et on trouve les maisons vides, le mobilier propre, les lits faits, les greniers pleins. Mais nul trace ni des habitants ni de leurs animaux. Le silence règne. On prends tout ce que peut offrir les demeures désertées et on rentre vite chez soit. Au crépuscule, on rejoint souvent les monolithes obscurs au milieu des prairies aux herbes grasses et élastiques. On dépose des gerbes de céréales, des couronnes de fleurs, on fait des prières et des vœux. On rentre tout aussi vite chez soi. Parfois au matin les couronnes ont fané, les céréales sont mangées. On trouve alors de petites sphères noires gravées de motifs ondulants, que l'on s'empresse de ramasser pour les garder précieusement dans ses bourses. Ainsi prit-on en Lémoné.

Un soir l'on voit les lumières d'un château s'éteindre. Le silence s'étend sur la campagne alentour et tous, loups, hiboux, chouettes, grenouilles... tous se taisent et l'écoutent durer. Au petit jour une délégation vient et le trouve vide. On en vide alors les beaux meubles, on s'empare des tentures verdoyantes de chasses, on fond armure et épées pour en faire des clous, des serpes, des faux et des socs de charrues, on démonte enfin les charpentes pour construire un nouveau moulin, et les ruines restent solitaires et désolées. Mais chaque équinoxe et chaque solstice on viendra y veiller autour du patriarche, espérant y voir le Seigneur Silence et sa Maisnie. Souvent il ne viendra pas, mais on a tous en mémoire les légendes qui en promettent la venue. Certain de ses suivants se détachent alors des rangs et viennent rejoindre les villageois, et le patriarche rejoins la Maisnie, avant qu'elle ne reparte. Ceux qui en viennent sont toujours muets, mais leur visage exprime si parfaitement leurs émotions qu'il n'est nul besoin de paroles avec eux. Ainsi passe la vie en Lémoné.

Quand un vieillard arrive au terme de son existence, il s'éteint paisiblement, et on l'installe aussitôt sur une civière. On le mène au pied d'un monolithe, et on l'entoure de ses outils. Tous rentrent alors chez eux. La nuit passe et au petit matin, il n'en reste rien. Le Seigneur Silence l'a accueilli en sa Maisnie. Ainsi meurt-on en Lémoné.
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CC N°6 Thème 95 : Lémoné Empty Re: CC N°6 Thème 95 : Lémoné

Jeu 20 Sep 2018 - 16:00
PAR PANTOUFFE

C'était dans la chanson, strident, hurlé, audible et mystérieux : Lémoné.
Une énigme. Une fulgurance de non-sens dans le flux ondoyant des accords qui coulaient d'entre ses doigts agiles, les doigts tisseurs de Dov. C'était latin sur les cordes de la guitare, des musiques pour l'amour, les castagnettes et le soleil. Mais dans sa bouche, c'était un chant violent, plus âpre, qui empruntait tour à tour au métal et au rock. Petit air de Finlande ou d'Allemagne, mêlé à une pincée d'onctuosité charnelle, mélancolique et grave- du jazz, nocturne, chaudement et lourdement cuivré. Fracas d'acier, de maracas. Et pourtant, dans leur ensemble, les compositions de Dov ne relevaient d'aucun genre. Elles n'étaient pas même harmonieuses, se hérissant d'un chapelet de notes à l'autre. Juste bizarres et agréables, parce-qu'elles s'en prenaient à la peau et aux nerfs, outrepassant leur droit à saccager l'oreille. Il avait une sorte de pouvoir brutale sur les carcasses où allait s'étirer sa grande voix élastique. Il passait d'un geignement à un murmure suave. Il racontait ses rêves, ou les miens, ou ne racontait rien, hoquetant sauvagement, grinçant, sifflant, crachant parfois des mots- le plus souvent, il inventait les siens, et leur donnait du sens, leur conférant substance. Il concevait des rires de hyènes, des sanglots de cigales. Une ménagerie et des bruits de paysage vivaient à travers lui. Il avait une pratique singulière, une manière à lui d'appréhender le chant. Sa voix était un instrument aux formes changeantes, arabesques fluctuantes, frontières mal définies, se réduisant à un filet ou redevenant torrent. Au gré des crues et des étranglements qui modelaient son chant, elle irriguait le monde. Peu importait cependant son volume : il propageait la vibration de la guitare à mon ventre, les trémolos de sa voix me coulaient sur la nuque, comme une écume de doigts. Frisson d'échine et de viscères, cliquètement animale. J'avais mal, je tremblais, j'étais au bord des larmes. J'aimais ses mains, sa bouche et son visage tordu- il n'était pas beau quand il chantait dans le torrent flamboyant de ses cheveux, mais il y avait chez lui un magnétisme qui relevait du cosmique. Il s'écartelait sur sa voix qui montait, béait de toute sa gueule puante, la gorge gonflée comme une fleur cireuse, ointe et gorgée, de la sueur aux yeux et du nectar en bouche. Il faisait l'effort presque disloquatoire de dilater son corps, d'éclore avec violence en une giclée d'automne, de pourriture, de vie. Il torturait sa bouche avec des articulations monstrueusement amples, étirant ses lèvres sèches jusqu'à les faire saigner. Sa mâchoire craquait, ses cordes vocales se rompaient une à une, il gueulait son chant dans un geyser de sang. Accouchait par sa bouche des rivières de pavots. Et le miracle s'opérait, dans le chaud creuset de sa chair moite. Dans sa laideur bestiale, il touchait au sublime. Il atteignait la vibration secrète sur laquelle frémissait tout le monde matériel, celle qui lui donnait forme, régissait ses frontières.
Puis il entreprenait son travail de couture. Il défaisait patiemment les nœuds glissés dans mon corps, un à un les palpait, se jouant de la trame de la réalité. Il glissait une main douce sous ma peau, entre les cordages de muscles, et touchait, caressait. Ça ondoyait en moi, ce bruit exquis, un ruban de mélodie qui passait sur mes nerfs. La tapisserie de l'univers tangible obéissait à sa voix dans une certaine mesure : l'alcool tremblait dans les verres comme une aurore chatouilleuse, les feuilles se soulevaient au passage de ses expirations. Des signes infimes, des banalités qu'il rendait emphatiques. Et puis il y avait moi, bien sûr. C'était en moi, sur mon désastre, que s'exprimait le plus intensément son pouvoir, dans la citadelle écroulée de mon corps qu'il était vraiment maître. Ruine fustigée par les angoisses qu'il réagençait avec une bienveillance indifférente d'archange.
Il dégoulinait sur moi en une vague de chaleur vivante, en un long fleuve de miel. Il parcourait ma gorge, mon dos, mon ventre. Un mot après l'autre glissant sur mes vertèbres, d'un murmure à un cri dont il me pénétrait. Et tout en moi fondait sur son passage, tout se mêlait en une gelée tiède de chair et d'os, liquéfaction lascive, brouillonne. J'étais heureux, informe. J'étais un magma conscient flottant dans la fumée, l'ivresse, le son. Une métamorphose en devenir, germe moelleux d'aurore froissée, endormis dans sa gangue de mélasse, tout prêt à déployer ses vrilles, les mystères de son coeur, pour parvenir au monde et y vibrer d'amour.
Il en était toujours ainsi quand il venait me voir : l'instrument et sa voix puis mon corps. Sainte trinité vibrionnante d'extase.
Cette fois là aussi. Le même rituel païen, sans échange de paroles. Ma chambre froissée de toutes parts, des draps au papier peint. Les bouteilles colorées tirées de leurs cachettes, aristocrates poudrées de poussière aux lettres de noblesse criardes, étincelantes dans la clarté poreuse qui parvenait des vitres décorées au marqueur. Les filets de fumée qui se mouraient voluptueusement dans l'air, avec lourdeur, avec tendresse, comme de pâles âmes félines. Les odeurs en maraude, les murs rances lapées d'ombres bleutées, lardées de cicatrices crépusculaires toutes grouillantes de poussière. Le garçon assis sur le bord de la fenêtre, ruisselant de rousseur, auréolé de lumière. La musique qui s'exhalait de lui, palpitant sous ses doigts, déroulée en vrilles envahissante, foisonnement captivant. Et puis le mot. L'infamie, la traîtrise. L’offense articulée adressée à ma gueule.

Un outrage frémissant. Condensé d'un carnage.

<< Lémoné >>


Gueulé comme ça, sur les braises de sa voix, le crépitement des notes. Valdinguant comme une gifle. Un poignard lancé par une main acrobate ; droit vers ma gorge. J'ai gargouillé de surprise, un bruit stupide.

J'étais liquide et j'ai gelé. J'ai trouvé mes lisières, mon corps. Mes jambes de béton et mon fauteuil roulant.

Il s'est arrêté, escamotant à la fois la lumière et musique. Il m'a fixé sans rien dire, la guitare ne vivait plus contre sa poitrine, le pouls de sa musique était mort sur les cordes. Le chant s'était taris à ses lèvres, ravalé aux entrailles. Tout à coup, il ne palpitait plus, il tenait du plastique. Rouquin de bakélite déglingué par la vie. Sa chair lactée, fumeuse, évanescente, était devenu compacte, opaque et froide. Il n'y avait plus que ses mains pâles, sa tronche asymétrique, ses joues creuses, et son regard de cerf. La balle de sa pupille dans la blessure humide de son œil.

J'ai demandé pourquoi.

<< On y peut rien a t'il dis. C'était ton mot, ta clé, l'instant du basculement... je ne savais pas, pardon. Je ne le sais jamais avant qu'il soit trop tard. Tu peux marcher maintenant. Pardon... >>


Alors il a ouvert la fenêtre et il s'est envolé. J'ai palpé mes jambes en y sentant mes doigts, ma paume, en sachant que j'avais retrouvé les chemins étiolés. J'ai pleuré. J'avais conscience de ce que signifiait ces retrouvailles funestes.
Il avait subtilement détricoté le monde, pour moi, une syllabe après l'autre. Et il avait finis par la trouver, l'aiguille à même d'abolir le nœud de mon impasse. De mon terrier, de mon crissant tombeau.
Le lendemain j'ai été adopté. J'ai laissé les bouteilles dans la planque de ma chambre, et la guitare sur le bord de la fenêtre. J'avais conscience de ne plus pouvoir regagner le cocon tendrement putride de mon adolescence, mélancolique, rageuse, et pourtant rassurante- plus que l'abîme de l'âge adulte. Malgré quoi je la cherchais encore des yeux, je tâtonnais du cœur. Ma poitrine était trop grande, et le monde également. Je me tenais sur mes deux jambes, mais si j'avais les pieds sur terre, mes yeux étaient au ciel.
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