Le "texte imaginal"

Yahvé voulut savoir si le père de Brûle était un homme bon. Il lui demanda d'offrir son fils au prochain sacrifice.
Le père accepta, et Yahvé fut alors convaincu qu'il était un homme bon et pieux. Lorsque Yahvé fut certain que le père allait agir, il lui intima "Ne tue pas ton fils, cela n'est pas nécessaire à Dieu."

Peut-être Yahvé avait-il parlé trop bas, car le père frappa tout de même le fruit de ses entrailles.

Une rivière s'écoula du flanc de Brûle. Une végétation luxuriante grandit autour, et de cette rivière naquit un enfant translucide. L'enfant se nomma Brise, car personne ne l'appelait. Il fut un nomade et gardien de souvenirs, il se souvint de Brûle et de Yahvé.
Pardonna-t-il ?

Brise n'était qu'un éclat de miroir dans la grande galerie des glaces. Il joua mille rôles, s'épuisa, recommença.
Quand il fut un homme, la foule se resserra autour de lui.
"Qui es-tu ?", disait-elle.
"Je suis Brise !" la foule l'oppressait :
"Mauvaise réponse..."
"Je suis moi !" il étouffait. "Je suis Brûle, je suis le cosmos ! Je suis l'enfant, le malheureux, l'enthousiaste, le mort, le vivant ! Je suis la femme en deuil et l'amoureux naïf. Laissez-moi, je ne suis rien ! Je ne suis que tout, ce n'est rien !"
Mais une main le saisit et dit : "N'ouvre pas ton cœur. C'est aux autres de te l'ouvrir." Et les mains se saisirent de Brise, des lames entrouvrirent sa peau et la foule entra dans son ventre comme mille insectes avides de chaleur.
Chaque mandibule grignotait un peu de ses entrailles, arrachait un morceau de sa mémoire pour le transmuter en brenne qu'ils rouleraient devant eux.

Brise ouvrit les yeux et une voix lui demanda : "Qui es-tu ?". Brise sourit et dit "Je ne sais pas."
L'enfant répondit : "Je sais qui tu es. Tu es le malheureux."
La mère lui dit "Mais non. Regarde mieux, c'est l'enthousiaste."
"Pour moi, ce n'est qu'un enfant", dit une voix de femme.
"Un enfant ? Et son regard ? Il a autant vécu que moi", dit l'Homme.
"C'est un vivant, en tout cas !"
"Non ! Il sonne creux, c'est un mort !"
"Moi, je sais ! C'est le cosmos !"
Brise haussa les épaules.