CC du Cornu - Thème imagé -
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SolalCendre
Malnir
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- Malnir
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CC du Cornu - Thème imagé -
Jeu 3 Juin 2021 - 23:09
ICELLE IMAGE
- Malnir
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Re: CC du Cornu - Thème imagé -
Jeu 3 Juin 2021 - 23:11
Noal coupait du bois devant sa ferme, profitant de l’ombre du bosquet voisin pour le protéger du soleil déclinant mais brûlant de ce soir d’été. Devant lui s’étendait l’immensité plate de la Table d’Étain, dont les herbes grises s’irisaient d’un feu intérieur. Et derrière lui les branches sombres des chênes-de-charbon venaient presque caresser sa tête. Lui levait sa hache jusqu’au dessus de sa tête et l’abattait sur le billot en une parabole régulière, fendant bûches sur bûches. Un moment il s’interrompit pour boire une rasade du mauvais vin de son outre, grimaça en plissant les yeux. Le soleil plongea dans son dos entre les bords de la table et soudain dans le ciel les nuages ombreux se drapèrent de reflets nacrés, le ciel devint mauve sombre et bleu, une sorte de pénombre rouge dévora la plaine. Une sorte de plainte angoissée monta dans le lointain puis s’éteignit comme un gémissement pénible. Un frémissement parcourut l’échine de Noal. Il ramassa son petit bois et se dirigea lourdement vers la porte. À l’intérieur, seules des taches de lumière sale et brune se posaient sur certains meubles, caressaient leurs angles avec une douceur sirupeuse. Il battit le briquet, alluma une chandelle dont la flamme vacilla, projeta de grandes ombres auréolées d’or roux sur les murs. Se dirigeant vers l’âtre, il empila soigneusement son bois, alluma un feu doux et carmin, ronflant doucement. Le vent nocturne vint alors se plaquer sur les murs est en gémissant, la charpente émit un long cri guttural, les tuiles jouèrent comme un xylophone un instant puis un long calme entrecoupé des plaintes venteuses et du crépitement de la cheminée s’installa. La nuit était là.
Noal dînait, assis par terre contre un berceau depuis longtemps hors d’usage. Il saisissait entre ses doigts des lanières de viande séchée et salée, grillées contre le feu, puis les portait à sa bouche et mastiquait de ses solides dents. Parfois il saisissait la miche de pain noir et y mordait. Puis il but de longues gorgées de cidre sec et resta à regarder les flammes mourir et se replier entre les braises pulsantes. Il se leva pesamment, souffla la flamme frémissante de la chandelle, assise au sommet d’une montagne informe de cire. Avec l’âge, ses muscles s’étaient durcis, avaient gonflés comme des sarments de vigne autour de ses os, toute graisse avec ruisselé et disparu et sa peau, léchée chaque jour par l’ardent soleil, avait pris cette teinte de bronze, le laissant sec, solide, lourd rigide. Son poil sombre poussait dru sur son visage et son torse, son visage était raviné par les cernes. Il se dirigea vers sa couche, se dévêtit et saisit un flacon de laudanum posé sur la tablette voisine. Il en absorba une infime gorgée, se sentit soudain dériver. Les poutres dansaient comme des serpents rouges et noirs, les oiseaux suspendus par les pattes et les herbes aromatiques en bouquet s’allongèrent. Il tanguait sur la mer goudronneuse du sol de terre battu, son lit-navire plongeait entre les vagues. Il s’abattit soudain et plongea dans un rêve tournoyant, où nuages d’or se fondaient en des ouragans écarlates.
L’aube froide du solstice glissa son doigt rose entre les carreaux ternis, et Noal sortit aussi brusquement de son sommeil qu’il y était entré. Il se redressa en un bon souple, agrippa sa chemise, sa tunique et les passa, boucla sa ceinture et enfila en quelques gestes pressés ses guêtres. Le vent nocturne mourut soudain, la charpente grinça longuement, les tuiles dansèrent comme les os d’un mort dans une cage, et il ouvrit la porte. Sa sentait la lavande amère, la rosée fraîche. Le ciel n’était qu’un aplat pâle rose et violacé, décoloré et presque sans substance, comme une aquarelle. La Table bruissait, ses herbes se rabattaient comme le vent de l’aube arrivait à son tour, moutonnait comme une écume mauve sur un océan d’ombre. Tout ça Noal le connaissait, il l’avait vu milles fois tout le long de sa vie, il ne prêtait attention qu’à cette haute silhouette cornue d’un noir fuligineux qui se tenait à quelques centaines de mètres devant lui, aux côté d’une autre blafarde, éthérée et petite. Il resta là un moment, le souffle coupé comme chaque année quand ils venaient. Les mots se mourraient sur sa gorge desséchée, ses yeux humides larmoyaient vainement dans les sillons ombrés de son visage. Puis la première silhouette se retourna lentement et commença à s’éloigner, et l’autre aussi, après un dernier regard vers lui. Noal regarda sa fille s’en aller, inexorablement, à nouveau, comme tiré dans le sillage du Cornu. Leur image soudain vacilla, le champ d’herbes bruissa autour comme un rideau de sable, et ils disparurent. Noal se laissa aller contre le mur de sa ferme et y resta longtemps.
- SolalCendre
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Béhémoth en Fréhel
Jeu 3 Juin 2021 - 23:14
Behemoth en Fréhel
On raconte que Béhémoth, le chat du Diable, quitta un jour sa dépouille féline pour les frusques d'un bouc. On raconte également que c'est sous cette forme qu'il descendit sur terre pour y semer le chaos et la détresse. Deux cornes torses sur le front, le poil hérissé et rouge comme la géhenne, il brûlait de ses sabots infernaux les terres qu'il foulait, faisait fuir des troupeaux entiers de ses cris et tuait d'un coup de dent les chiens les mieux bâtis.
Longtemps, en un temps loin de toute mémoire, il régna en tyran sur la terre et personne ne put avoir raison de sa fureur.
Vint un temps où Béhémoth se rendit dans la lande violette et sauvage de Fréhel. Il y établit sa demeure, dans les anfractuosités des falaises, faisant fuir les habitants de son odieuse puanteur. Mais une bergère, nommée Magaël, y resta, qui y gardait ses troupeaux depuis de nombreuses années et ne voulait céder ses terres à quiconque. Quand Béhémoth s'aperçut qu'une femme lui résistait, il entra dans une fureur terrible. Il se rendit à sa bicoque, faisant rugir le tonnerre et les éclairs tout autour. Magaël sortit et lui dit simplement qu'elle ne laisserait personne l'empêcher de paître ses moutons où bon lui semblait, tout Diable qu'il fut.
Béhémoth en fut tant décontenancé qu'il ne sut que répondre. Toute la foudre cessa, et il resta coi devant la porte. Il revint le lendemain, bien décidé à faire ployer l'impudente, mais toujours elle lui opposait son menton fier, ses bras croisés, et lui claquait la porte au nez. Chaque jour, Béhémoth revenait. Et chaque jour, la bergère lui faisait la même réponse. Il se mit de moins en moins en courroux et trouva de plus en plus charmants les plis de ses yeux quand elle le regardait, la chute de ses épaules, la courbe de sa joue. Alors un jour, Béhémoth se rendit à sa maison, mais sous les traits d'un grand et hiératique vieillard. Mais de sa forme de bouc, il ne put se défaire tout à fait : il lui en resta à jamais les cheveux hirsutes et rouges, et les cornes torses.
Devant sa porte ouverte, Magaël le considéra un moment. Le Diable s’était humilié devant elle, et elle en goûta le plaisir un moment. Puis elle le laissa entrer.
Ils furent amis. Puis amants. De leur amour naquit une petite fille, à laquelle sa mère donna le nom de Faël. Ils vécurent heureux six longues années, pendant lesquelles Béhémoth délaissa complètement ses fonctions de serviteur du Mal. Mais à l'aube de la septième année de la fillette, le jour anniversaire de sa naissance, sa mère mourut. C’est un pêcheur du cap qui retrouva son corps au bas de la falaise, ballotté par les vagues contre les récifs. Il la recueillit dans sa gabarre et la ramena au rivage. Personne ne l’avait vue choir. La pierre resta muette aux interrogatoire de Béhémoth furieux, et le vent, qu’il questionna jusqu’à la violence, ne voulut rien dire. Des langues déliées du pays vous diront que la bergère s’était finalement tuée de désespoir, ne supportant pas d’être l’épouse du Diable. D’autres vous diront qu’en paissant ses moutons, elle aurait fait un faux pas et glissé sur une pierre traîtresse. D’autres enfin vous chuchoteront que pour une telle enfant du pays, pareil accident était impensable. Aucun de ceux-là n’a entendu chanter les macareux qui, seuls, ont vu toute l’histoire et la chantent dans leur langue tous les jours, dans leur danse au flanc de la falaise.
Béhémoth ne hurla pas et ne pleura pas devant le corps de sa femme trépassée. La petite Faël au côté, il resta devant le cercueil trois jours et trois nuits, sans parvenir à détacher son regard de sa femme adorée. Au matin du quatrième jour, Faël, qui était à moitié immortelle de par le sang de son père, le tira par la manche et l’emmena dans la lande. A la vue des parterres de bruyère que Magaël avait foulés, il pleura enfin, et de larmes si amères que le sol qui les recueillit noircit à jamais, pour ne plus rien laisser pousser. Faël lui tenait la main de sa petite poigne d’enfant, silencieuse, son oeil grand ouvert sur le pays devant elle, et la mer. Elle n’avait pas pleuré la mort de sa mère. Seulement avait-elle regardé le cercueil d’un oeil étonné d’abord, puis très sérieux. Dans la douceur de son visage, la gravité de ce regard perçait Béhémoth en pleine poitrine, alors que sur la lande il sentait son coeur, son ventre et sa peau se noircir. Il sut alors qu’il ne pourrait pas passer un jour de plus sur cette terre, à voir sa fille lui rappeler à chaque regard la mort de sa mère, à voir le pays tout entier lui hurler son absence.
Béhémoth quitta alors la terre pour s’en retourner au Royaume du Diable, laissant derrière lui sa fille Faël. Elle le regarda partir, le même regard aux yeux qu’à la mort de sa mère, et Béhémoth ne put le soutenir. Jamais il ne revint sur terre, même pour y répandre le malheur, et toujours il rumina la douleur de sa perte. Quant à la petite Faël, elle ne quitta jamais les falaises de Fréhel, et reprit les moutons de sa mère. Jamais elle ne vieillit, et certains vous diront qu’ils l’ont encore vue passer hier au pied du phare.
On raconte que Béhémoth, le chat du Diable, quitta un jour sa dépouille féline pour les frusques d'un bouc. On raconte également que c'est sous cette forme qu'il descendit sur terre pour y semer le chaos et la détresse. Deux cornes torses sur le front, le poil hérissé et rouge comme la géhenne, il brûlait de ses sabots infernaux les terres qu'il foulait, faisait fuir des troupeaux entiers de ses cris et tuait d'un coup de dent les chiens les mieux bâtis.
Longtemps, en un temps loin de toute mémoire, il régna en tyran sur la terre et personne ne put avoir raison de sa fureur.
Vint un temps où Béhémoth se rendit dans la lande violette et sauvage de Fréhel. Il y établit sa demeure, dans les anfractuosités des falaises, faisant fuir les habitants de son odieuse puanteur. Mais une bergère, nommée Magaël, y resta, qui y gardait ses troupeaux depuis de nombreuses années et ne voulait céder ses terres à quiconque. Quand Béhémoth s'aperçut qu'une femme lui résistait, il entra dans une fureur terrible. Il se rendit à sa bicoque, faisant rugir le tonnerre et les éclairs tout autour. Magaël sortit et lui dit simplement qu'elle ne laisserait personne l'empêcher de paître ses moutons où bon lui semblait, tout Diable qu'il fut.
Béhémoth en fut tant décontenancé qu'il ne sut que répondre. Toute la foudre cessa, et il resta coi devant la porte. Il revint le lendemain, bien décidé à faire ployer l'impudente, mais toujours elle lui opposait son menton fier, ses bras croisés, et lui claquait la porte au nez. Chaque jour, Béhémoth revenait. Et chaque jour, la bergère lui faisait la même réponse. Il se mit de moins en moins en courroux et trouva de plus en plus charmants les plis de ses yeux quand elle le regardait, la chute de ses épaules, la courbe de sa joue. Alors un jour, Béhémoth se rendit à sa maison, mais sous les traits d'un grand et hiératique vieillard. Mais de sa forme de bouc, il ne put se défaire tout à fait : il lui en resta à jamais les cheveux hirsutes et rouges, et les cornes torses.
Devant sa porte ouverte, Magaël le considéra un moment. Le Diable s’était humilié devant elle, et elle en goûta le plaisir un moment. Puis elle le laissa entrer.
Ils furent amis. Puis amants. De leur amour naquit une petite fille, à laquelle sa mère donna le nom de Faël. Ils vécurent heureux six longues années, pendant lesquelles Béhémoth délaissa complètement ses fonctions de serviteur du Mal. Mais à l'aube de la septième année de la fillette, le jour anniversaire de sa naissance, sa mère mourut. C’est un pêcheur du cap qui retrouva son corps au bas de la falaise, ballotté par les vagues contre les récifs. Il la recueillit dans sa gabarre et la ramena au rivage. Personne ne l’avait vue choir. La pierre resta muette aux interrogatoire de Béhémoth furieux, et le vent, qu’il questionna jusqu’à la violence, ne voulut rien dire. Des langues déliées du pays vous diront que la bergère s’était finalement tuée de désespoir, ne supportant pas d’être l’épouse du Diable. D’autres vous diront qu’en paissant ses moutons, elle aurait fait un faux pas et glissé sur une pierre traîtresse. D’autres enfin vous chuchoteront que pour une telle enfant du pays, pareil accident était impensable. Aucun de ceux-là n’a entendu chanter les macareux qui, seuls, ont vu toute l’histoire et la chantent dans leur langue tous les jours, dans leur danse au flanc de la falaise.
Béhémoth ne hurla pas et ne pleura pas devant le corps de sa femme trépassée. La petite Faël au côté, il resta devant le cercueil trois jours et trois nuits, sans parvenir à détacher son regard de sa femme adorée. Au matin du quatrième jour, Faël, qui était à moitié immortelle de par le sang de son père, le tira par la manche et l’emmena dans la lande. A la vue des parterres de bruyère que Magaël avait foulés, il pleura enfin, et de larmes si amères que le sol qui les recueillit noircit à jamais, pour ne plus rien laisser pousser. Faël lui tenait la main de sa petite poigne d’enfant, silencieuse, son oeil grand ouvert sur le pays devant elle, et la mer. Elle n’avait pas pleuré la mort de sa mère. Seulement avait-elle regardé le cercueil d’un oeil étonné d’abord, puis très sérieux. Dans la douceur de son visage, la gravité de ce regard perçait Béhémoth en pleine poitrine, alors que sur la lande il sentait son coeur, son ventre et sa peau se noircir. Il sut alors qu’il ne pourrait pas passer un jour de plus sur cette terre, à voir sa fille lui rappeler à chaque regard la mort de sa mère, à voir le pays tout entier lui hurler son absence.
Béhémoth quitta alors la terre pour s’en retourner au Royaume du Diable, laissant derrière lui sa fille Faël. Elle le regarda partir, le même regard aux yeux qu’à la mort de sa mère, et Béhémoth ne put le soutenir. Jamais il ne revint sur terre, même pour y répandre le malheur, et toujours il rumina la douleur de sa perte. Quant à la petite Faël, elle ne quitta jamais les falaises de Fréhel, et reprit les moutons de sa mère. Jamais elle ne vieillit, et certains vous diront qu’ils l’ont encore vue passer hier au pied du phare.
- ziel
- Messages : 23
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Re: CC du Cornu - Thème imagé -
Jeu 3 Juin 2021 - 23:17
La petite marche depuis longtemps déjà, il fait noir depuis toujours. les hautes herbes qui caressent son visage la protège du froid et du vent mordant.
Serrant son poing sur sa poitrine, la fillette n'a pas sommeil. Elle veut vivre ce monde noctambule en passant cette frontière, ne jamais revenir.
Elle rassemble ses forces et plonge.
Sombrant dans des volutes tourbillonnantes, elle tente de se raccrocher à sa réalité. Tendant ses mains, elle agrippe quelque chose, les tourbillons s’apaisent, la petite peut relever sa tête.
Un squelette se détache de l'obscurité, figure altière et imposante, il est drapée de nuit.
Le géant cornu l'apaise, elle se sent en sécurité. Dans la chaleur de ses vêtements, se reflètent des lunes, des mondes de souvenirs.
Sa robe et ses cheveux s’éclaire d'un blanc léger, l'aurore est venue l'embrasser.
Bientôt l'aube. La grande qui avale les ombres.
Serrant son poing sur sa poitrine, la fillette n'a pas sommeil. Elle veut vivre ce monde noctambule en passant cette frontière, ne jamais revenir.
Elle rassemble ses forces et plonge.
Sombrant dans des volutes tourbillonnantes, elle tente de se raccrocher à sa réalité. Tendant ses mains, elle agrippe quelque chose, les tourbillons s’apaisent, la petite peut relever sa tête.
Un squelette se détache de l'obscurité, figure altière et imposante, il est drapée de nuit.
Le géant cornu l'apaise, elle se sent en sécurité. Dans la chaleur de ses vêtements, se reflètent des lunes, des mondes de souvenirs.
Sa robe et ses cheveux s’éclaire d'un blanc léger, l'aurore est venue l'embrasser.
Bientôt l'aube. La grande qui avale les ombres.
- Leer
- Messages : 173
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Re: CC du Cornu - Thème imagé -
Jeu 3 Juin 2021 - 23:46
Un crumble fumant éveillait toute sa sympathie. Au-dessus était courbée l'échine du géant, son papa. Il saupoudrait de la cannelle.
La porte entr'ouverte laissait entrer un filet de dehors.
Au-dessus, dans le très-haut ciel les étoiles ouvraient un oeil.
Dans la grande ville, les passants couraient sous leurs journaux. Un éclair fit sursauter un jeune homme. Il se sentit alors embarrassé.
L'herbe était tout ébourriffée. Vert-de-gris. Piétinée par le passage de l'homme cornu et de sa petite fille.
Quelques bourrasques plus loin, il donna une pichenette à sa clepsydre.
Il s'assit vers son enfant. Sa voix rentrée et soyeuse formula :
"Comment as-tu trouvé cette sortie, aujourd'hui ?"
La petite s'exclama :
"Je veux boire du thé ! Le chaton était épouvantablement mignon, et je n'ai pas peur de la grande ville !"
La bouche du Fin s'étira.
"Si je comprends bien, nous rapporterons ensemble ce livre de recettes, c'est-ce pas, Soliane ?
-Absolument ! Il le faut !
-C'est vrai... Et pourtant... Ce livre semble contenir de délicieux desserts, Soliane. Nous devrions le garder ici, qu'en dis-tu..?"
Soliane se froissa de confusion. Elle ne savait pas détecter les blagues de son Papa.
La porte entr'ouverte laissait entrer un filet de dehors.
Au-dessus, dans le très-haut ciel les étoiles ouvraient un oeil.
Dans la grande ville, les passants couraient sous leurs journaux. Un éclair fit sursauter un jeune homme. Il se sentit alors embarrassé.
L'herbe était tout ébourriffée. Vert-de-gris. Piétinée par le passage de l'homme cornu et de sa petite fille.
Quelques bourrasques plus loin, il donna une pichenette à sa clepsydre.
Il s'assit vers son enfant. Sa voix rentrée et soyeuse formula :
"Comment as-tu trouvé cette sortie, aujourd'hui ?"
La petite s'exclama :
"Je veux boire du thé ! Le chaton était épouvantablement mignon, et je n'ai pas peur de la grande ville !"
La bouche du Fin s'étira.
"Si je comprends bien, nous rapporterons ensemble ce livre de recettes, c'est-ce pas, Soliane ?
-Absolument ! Il le faut !
-C'est vrai... Et pourtant... Ce livre semble contenir de délicieux desserts, Soliane. Nous devrions le garder ici, qu'en dis-tu..?"
Soliane se froissa de confusion. Elle ne savait pas détecter les blagues de son Papa.
- Spoiler:
- Je devais caser les mots "Sympathie", "éclair", "échine" et "clepsydre".
Je ressens que l'image originale (le manga) ne les représente pas comme père et fille de sang, j'ai choisi de faire ça quand même. Je les vois habiter dans une petite maison loin dans la plaine herbeuse, l'image-thème représentant leur retour à la maison, après que le Papa ait emmené pour la première fois son enfant à la grande ville qui se trouve à quelques kilomètres de là. Mon texte commence donc un peu plus tard, ils ont eu le temps de faire un gâteau et la nuit est tombée. Il a commencé à pleuvoir dans la grande ville, c'est un orage, eux n'ont qu'un peu de vent et de fraîcheur. Ah, et Soliane fait la fière-à-bras. Elle a un peu peur de la grande ville, l'image du thème en est témoin. A côté de ça, le Fin est totalement un sorcier avec un côté ermite. Mais là, il allait seulement emprunter un livre de recettes à la bibliothèque pour apprendre à cuire les gâteaux.
- Silver Phoenix
- Messages : 139
Date d'inscription : 27/08/2018
Age : 26
Re: CC du Cornu - Thème imagé -
Jeu 3 Juin 2021 - 23:47
La nuit tombe.
La brume s’épaissit.
Le froid mord.
Brins de roches tels des os jonchant le sol. Bris de glace ternes comme des larmes séchées.
Morte contrée, si elle n’eut été vivante.
L’enfant, curieuse enfant, happée dans cet inerte paysage, s’accroche à son grand compagnon. Elle cherche la moindre lumière, en vain. Même les astres les plus brillants les ont abandonnés. Aucune lumière, pas une seule lueur, si ce n’est celle de l’inquiétude dans ses yeux.
Ses bottes de fer noir protègent ses jambes des pierres hérissant la terre. Elle a peur de trébucher, dans sa maladresse juvénile. Elle serre un peu plus les pans du long manteau de son immense ami, pour se tenir mais surtout pour se rassurer.
Puis, il range son livre dans ses tissus, se baisse, se penche, l’invite sur son dos. La voilà, à sa hauteur. Elle en a presque le vertige, elle aimerait bien être aussi grande que lui. Ses petites mains agrippent ses cornes, dépassant de sa chevelure broussailleuse telles deux arbres surplombant un buisson. Il marche, impavide, contre la brise glaciale. Les paupières délicatement closes, elle repose sa tête juste entre les cornes. Qui sait quand l’aube se lèvera, quand le voile de la nuit sera déchiré par l’or et l’azur. Celui, plus noir encore, du sommeil la recouvre doucement. Bercée par les claquements des bottes sur le sol, le souffle, régulier et imperturbable de son ami, elle sombre enfin.
La lumière reviendra.
La brume s’épaissit.
Le froid mord.
Brins de roches tels des os jonchant le sol. Bris de glace ternes comme des larmes séchées.
Morte contrée, si elle n’eut été vivante.
L’enfant, curieuse enfant, happée dans cet inerte paysage, s’accroche à son grand compagnon. Elle cherche la moindre lumière, en vain. Même les astres les plus brillants les ont abandonnés. Aucune lumière, pas une seule lueur, si ce n’est celle de l’inquiétude dans ses yeux.
Ses bottes de fer noir protègent ses jambes des pierres hérissant la terre. Elle a peur de trébucher, dans sa maladresse juvénile. Elle serre un peu plus les pans du long manteau de son immense ami, pour se tenir mais surtout pour se rassurer.
Puis, il range son livre dans ses tissus, se baisse, se penche, l’invite sur son dos. La voilà, à sa hauteur. Elle en a presque le vertige, elle aimerait bien être aussi grande que lui. Ses petites mains agrippent ses cornes, dépassant de sa chevelure broussailleuse telles deux arbres surplombant un buisson. Il marche, impavide, contre la brise glaciale. Les paupières délicatement closes, elle repose sa tête juste entre les cornes. Qui sait quand l’aube se lèvera, quand le voile de la nuit sera déchiré par l’or et l’azur. Celui, plus noir encore, du sommeil la recouvre doucement. Bercée par les claquements des bottes sur le sol, le souffle, régulier et imperturbable de son ami, elle sombre enfin.
La lumière reviendra.
- Pantouffe
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Date d'inscription : 27/08/2018
Age : 28
Re: CC du Cornu - Thème imagé -
Ven 4 Juin 2021 - 0:04
Vent sur la plaine. Ciel de rose et mer de lavande. Comme dans une peinture où tout s'accorderait. Mais l'odeur détonne, sirupeuse. Ce n'est pas celle de la bourbe picturale, pas celle de l’atelier d'artiste. Pas celle de la poussière ou des pigments, ni celle du papier qui moisit doucement. Ni celle du papier jeune, peau vibrante et assoiffée de couleurs.
C'est l'odeur lourde des fleurs, une odeur épaisse et insistante qui fait mal au crâne. Une odeur pour attirer les abeilles et les papillons, pour parfumer le cou des femmes et les draps frais, et les vêtements froissés, quand on les lave. Pour cacher les remugles d'un corps qui cuit, sueur tiédasse, crasse collante, cuir chevelu embaumé, graisseux, haleine faisandée, haleine de soif, haleine de peur, haleine qui tremble. Épices de transpiration, acidité du rot, toxicité du pet- toutes les entrées présentes dans l'index chaotique des senteurs. Puanteur riche du sexe et différents types de suées- aigres, douces ou piquantes, toutes les transpirations qui servent à communiquer sans dire un mot, tous leurs crochets volatiles pour attraper au nez. Toutes les odeurs de la maison, et toutes celles de la rue, noyées dans l'eau florale. Comme si la déesse païenne de la fertilité avait renversé son flacon de parfum sur l'humanité. Combien de lits qui sentent comme le printemps ? Combien d'oreillers nichés à l'étreinte de dame Cybèle ? Et combien de corps blessés qui se cachent derrière un voile vernale ?
Ici, aucun. Juste Juliette. Et l'ombre. Et le ciel qui défile, l'herbe qui roule, la lavande qui pue. Et puis moi. Et mon mal de crâne. Les silhouettes qui s'éloignent. Les souvenirs qui se jettent à travers mon crâne. S'étalent dans ma mémoire. S'empilent comme des cadavres, grésillent comme du bacon.
C'est avec moi qu'elle fais le chemin, parce-que, c'est le plus pratique. Main d'enfant, fleurs de chaussée, peton léger au retour de l'école. La pire verdure possible, mais avec des pétales, rien que de la végétation de rebord de trottoir, déjà fatiguée au moment de sortir de terre. Collier de marguerites qui font déjà la gueule, même pas porté en couronne, ou bracelet. C'est trop fragile. Ronde mollassonne qui chute d'entre ses doigts. Chaque petit doigt comme un morceau de sucre blanc. Chaque sucre dissous dans une manche trop longue.
Œil de brume, minois de dentelle- les lèvres comme si on les avait brodé, deux lichettes roses prises à un ruban de soie. Le regard insistant, la question en suspens. Moi qui ricane. Parce-que je suis l'aîné, et c'est comme ça, les aînés taquinent. Parce-que je peux la faire tourner en bourrique, et parce-qu'à chaque fois, elle se laisse avoir. Et parce-qu'à chaque fois, je finis par lui répondre quand même. Alors, tout le monde y gagne et joue son rôle, comme il faut.
Maman, mais sans visage. Ça fait trop longtemps. Pas de visage, ou tous les visages ? Je me souviens de ses mains, blanches dans les creux, toutes sèches. Un peu rudes au bout. Maie elle sait toujours comme tresser les cheveux de Juliette. C'est comme passer ses doigts dans une rivière, elle dit. Comme tresser l'eau elle même. Elle ne sait pas d'où ça lui vient. Moi, j'ai le cheveux rude. C'est comme passer la paume dans l'herbe grillée, elle dit. Je suis le mois d'août, elle dit. Et Juliette, c'est le printemps qui sommeille. Au premier chant de l'oiseau, a dit maman, elle s'éveillera. Quel oiseau je me demande ? Il faut quel genre d'oiseau pour réveiller les petites filles ? Sans doute le plus gentil, ou au moins le plus doux.
C'est un samedi. On a tous des beaux cheveux, et on a bien mangé. Juliette n'a pas été chez le coiffeur comme papa, maman et moi. Elle a eu du mal à ne pas tâcher sa jolie robe. Mais elle fait les choses biens, aussi bien qu'elle le peut, parce-que c'est un samedi. Et parce-qu'on est samedi, personne ne dit rien, c'est proscrit. Papa se tait, et maman rie, elle rie pour toute la semaine le samedi. C'est un bon jour, avec un bon repas.
C'est un mardi, pas un jour très spécial. Elle fait les mauvais sauts à la corde, toujours elle tombe ou se prend les pieds dedans. Papa lit son journal. Maman est partis au lavoir. Moi je ne fais pas mes devoirs. Je regarde l'intérieur du cendrier. J'imagine ce que ça fait, d'être une cigarette.
Le plus bizarre, c'est quand ils deviennent jaunes. Pourtant, bleu c'est dans le nom. Le plus bizarre, c'est comme ils disparaissent toujours. Toujours s'effacent. C'est comme si la peau pouvait tout avaler. Qu'est-ce qu'il y a en dessous de la peau ? Du vide ? Où va le sang quand il reste dedans ? Est-ce qu'au chant de l'oiseau, tout ce qui a été caché apparaîtra sous la neige ? De quoi ça aurait l'air, une fois la neige fondue ? Si c'est le printemps, je pense qu'il y aura de toutes les couleurs dessous.
C'est la plus longue nuit ce soir, parce-qu'on sait que maman n'est pas dans sa chambre. Maintenant le samedi sera le seul jour qui aura l'air normal. Mais plus de la même manière qu'avant, puisqu'il n'y aura que le silence de papa.
Rire de moineau. Qui piaille, trop haut. Est-ce qu'elle se force ? Elle est trop jeune pour se forcer ... pas vrai ?
J'ai encore de la fumée dans le corps, le goût du papier sur les lèves, la chaleur au bout des doigts. Elle a promis qu'elle ne dirait rien pour la cigarette. Elle a juré. Parce-que c'est ce que font les petites sœurs. Elles jurent, elles essaient, puis elles ratent. Elle ne sait pas, mais moi je le sais. C'est pas grave. Elle fait de son mieux.
Elle danse dodelinante, dans une ronde de poupées. Elle est heureuse.
pas vrai ? Pas vrai.
A genoux, elle donne le thé à un coussin. Sur le coussin, ma casquette. Il n'y a plus de poupées depuis l'incendie. Elle a à peine grandis depuis. Comme si elle attendait. Attendait d'être sûre. Je ne sais pas de quoi. De la sécurité peut-être. Que ça vaut le coup sinon. Ou peut-être bien, une autorisation. Mais de qui ? Il n'y a plus que nous. Puis le reste du monde.
Couchée, dans l'herbe. Au bord de la rivière.Toujours a l'ombre du feuillage. Au soleil, elle fanerait. Je bronze pour deux, j'accumule tout le soleil. Je deviens brun, brun comme un morceau de bois. Elle est la neige et je suis l'arbre. A nous deux la forêt. Elle est la lumière qui rebondit d'une feuille à l'autre ; moi le gémissement des bêtes entre les troncs. Elle, le bruit d'une chouette. Moi quelque chose qui meurt. Tous les deux, on a une île très loin. Tous les deux, on sucre nos fraises avec de la poudre magique. On mange des ailes de fée, fines et moelleuses comme des tranches de loukoum. Elle préfère les jaunes, et moi les roses. C'est pas grave. Les ailes repoussent. Les fées naissent dans les fruits. Des fois, en ouvrant une pèche en deux, on en trouve une, repliée à la place du noyau. Elles ont la peau douce comme le duvet sur les jeunes feuilles. Je ne lui ai jamais qu'il m'arrivait de les dévorer. Je ne lui ai jamais dis que c'était bon. Elle préfère les border, elle a créé une nurserie pour elles. C'est une bonne sœur. Et moi...
Sous le rayon de lune il y a une couverture. Sous la couverture il y 'a une petite fille. Sous la petite fille, un matelas plein de punaises. Et sous le matelas, il y a un monstre. Et sous le monstre, le vide. Le vide jusqu'au soleil, le vide jusqu'aux constellations, le vide jusqu'au fond de nous, bien au fond, tout au fond. Mais ce n'est que pour elle. Moi, je vois juste l'ombre. Et sous mon lit à moi, il n'y a que de la poussière. Et la boîte. Et dans la boîte...
Elle a les genoux ensanglantés en rentrant de l'école. Elle a cueillie toutes les fleurs sur les chemins. Mais elle les a laissé sur le trottoir. Toutes molles. Toutes sales. Elle portait une barrette ce matin, mais maintenant, ses cheveux sont emmêlés. Il n'y a plus de barrette. Il n'y a plus de que ses yeux gris, ses mains ballantes. Je regarde les oiseaux sur les bancs. Je n'ai pas mon lance pierre.
Tant pis s'il y a du rouge partout sur la feuille. Tant pis si c'est juste un seul chiffre. Ce n'est pas grave, parce-qu'elle est intelligente quand même. C'est ce que je me tue à lui répéter, mais il ne veut pas arrêter de crier. J'ai mon lance pierre. Mais ça ne change rien. Un jour, je volerai toutes ceintures de cette maison. Je les volerai toutes et j'en ferai un tas. Et je brûlerai le tas. Et on dansera comme des indiens autour, et il y'aura un chant. Et dans la nuit, elle s'envolera. Blanche comme la fumée. Pourquoi ça ne pourrait pas être un oiseau de minuit ? Les hiboux chantent aussi. Ça me fait peur d'y penser. Je préfère tuer les oiseaux. Si c'est le bon qui chante je me retrouverai tout seul.
C'est l'odeur lourde des fleurs, une odeur épaisse et insistante qui fait mal au crâne. Une odeur pour attirer les abeilles et les papillons, pour parfumer le cou des femmes et les draps frais, et les vêtements froissés, quand on les lave. Pour cacher les remugles d'un corps qui cuit, sueur tiédasse, crasse collante, cuir chevelu embaumé, graisseux, haleine faisandée, haleine de soif, haleine de peur, haleine qui tremble. Épices de transpiration, acidité du rot, toxicité du pet- toutes les entrées présentes dans l'index chaotique des senteurs. Puanteur riche du sexe et différents types de suées- aigres, douces ou piquantes, toutes les transpirations qui servent à communiquer sans dire un mot, tous leurs crochets volatiles pour attraper au nez. Toutes les odeurs de la maison, et toutes celles de la rue, noyées dans l'eau florale. Comme si la déesse païenne de la fertilité avait renversé son flacon de parfum sur l'humanité. Combien de lits qui sentent comme le printemps ? Combien d'oreillers nichés à l'étreinte de dame Cybèle ? Et combien de corps blessés qui se cachent derrière un voile vernale ?
Ici, aucun. Juste Juliette. Et l'ombre. Et le ciel qui défile, l'herbe qui roule, la lavande qui pue. Et puis moi. Et mon mal de crâne. Les silhouettes qui s'éloignent. Les souvenirs qui se jettent à travers mon crâne. S'étalent dans ma mémoire. S'empilent comme des cadavres, grésillent comme du bacon.
C'est avec moi qu'elle fais le chemin, parce-que, c'est le plus pratique. Main d'enfant, fleurs de chaussée, peton léger au retour de l'école. La pire verdure possible, mais avec des pétales, rien que de la végétation de rebord de trottoir, déjà fatiguée au moment de sortir de terre. Collier de marguerites qui font déjà la gueule, même pas porté en couronne, ou bracelet. C'est trop fragile. Ronde mollassonne qui chute d'entre ses doigts. Chaque petit doigt comme un morceau de sucre blanc. Chaque sucre dissous dans une manche trop longue.
Œil de brume, minois de dentelle- les lèvres comme si on les avait brodé, deux lichettes roses prises à un ruban de soie. Le regard insistant, la question en suspens. Moi qui ricane. Parce-que je suis l'aîné, et c'est comme ça, les aînés taquinent. Parce-que je peux la faire tourner en bourrique, et parce-qu'à chaque fois, elle se laisse avoir. Et parce-qu'à chaque fois, je finis par lui répondre quand même. Alors, tout le monde y gagne et joue son rôle, comme il faut.
Maman, mais sans visage. Ça fait trop longtemps. Pas de visage, ou tous les visages ? Je me souviens de ses mains, blanches dans les creux, toutes sèches. Un peu rudes au bout. Maie elle sait toujours comme tresser les cheveux de Juliette. C'est comme passer ses doigts dans une rivière, elle dit. Comme tresser l'eau elle même. Elle ne sait pas d'où ça lui vient. Moi, j'ai le cheveux rude. C'est comme passer la paume dans l'herbe grillée, elle dit. Je suis le mois d'août, elle dit. Et Juliette, c'est le printemps qui sommeille. Au premier chant de l'oiseau, a dit maman, elle s'éveillera. Quel oiseau je me demande ? Il faut quel genre d'oiseau pour réveiller les petites filles ? Sans doute le plus gentil, ou au moins le plus doux.
C'est un samedi. On a tous des beaux cheveux, et on a bien mangé. Juliette n'a pas été chez le coiffeur comme papa, maman et moi. Elle a eu du mal à ne pas tâcher sa jolie robe. Mais elle fait les choses biens, aussi bien qu'elle le peut, parce-que c'est un samedi. Et parce-qu'on est samedi, personne ne dit rien, c'est proscrit. Papa se tait, et maman rie, elle rie pour toute la semaine le samedi. C'est un bon jour, avec un bon repas.
C'est un mardi, pas un jour très spécial. Elle fait les mauvais sauts à la corde, toujours elle tombe ou se prend les pieds dedans. Papa lit son journal. Maman est partis au lavoir. Moi je ne fais pas mes devoirs. Je regarde l'intérieur du cendrier. J'imagine ce que ça fait, d'être une cigarette.
Le plus bizarre, c'est quand ils deviennent jaunes. Pourtant, bleu c'est dans le nom. Le plus bizarre, c'est comme ils disparaissent toujours. Toujours s'effacent. C'est comme si la peau pouvait tout avaler. Qu'est-ce qu'il y a en dessous de la peau ? Du vide ? Où va le sang quand il reste dedans ? Est-ce qu'au chant de l'oiseau, tout ce qui a été caché apparaîtra sous la neige ? De quoi ça aurait l'air, une fois la neige fondue ? Si c'est le printemps, je pense qu'il y aura de toutes les couleurs dessous.
C'est la plus longue nuit ce soir, parce-qu'on sait que maman n'est pas dans sa chambre. Maintenant le samedi sera le seul jour qui aura l'air normal. Mais plus de la même manière qu'avant, puisqu'il n'y aura que le silence de papa.
Rire de moineau. Qui piaille, trop haut. Est-ce qu'elle se force ? Elle est trop jeune pour se forcer ... pas vrai ?
J'ai encore de la fumée dans le corps, le goût du papier sur les lèves, la chaleur au bout des doigts. Elle a promis qu'elle ne dirait rien pour la cigarette. Elle a juré. Parce-que c'est ce que font les petites sœurs. Elles jurent, elles essaient, puis elles ratent. Elle ne sait pas, mais moi je le sais. C'est pas grave. Elle fait de son mieux.
Elle danse dodelinante, dans une ronde de poupées. Elle est heureuse.
pas vrai ? Pas vrai.
A genoux, elle donne le thé à un coussin. Sur le coussin, ma casquette. Il n'y a plus de poupées depuis l'incendie. Elle a à peine grandis depuis. Comme si elle attendait. Attendait d'être sûre. Je ne sais pas de quoi. De la sécurité peut-être. Que ça vaut le coup sinon. Ou peut-être bien, une autorisation. Mais de qui ? Il n'y a plus que nous. Puis le reste du monde.
Couchée, dans l'herbe. Au bord de la rivière.Toujours a l'ombre du feuillage. Au soleil, elle fanerait. Je bronze pour deux, j'accumule tout le soleil. Je deviens brun, brun comme un morceau de bois. Elle est la neige et je suis l'arbre. A nous deux la forêt. Elle est la lumière qui rebondit d'une feuille à l'autre ; moi le gémissement des bêtes entre les troncs. Elle, le bruit d'une chouette. Moi quelque chose qui meurt. Tous les deux, on a une île très loin. Tous les deux, on sucre nos fraises avec de la poudre magique. On mange des ailes de fée, fines et moelleuses comme des tranches de loukoum. Elle préfère les jaunes, et moi les roses. C'est pas grave. Les ailes repoussent. Les fées naissent dans les fruits. Des fois, en ouvrant une pèche en deux, on en trouve une, repliée à la place du noyau. Elles ont la peau douce comme le duvet sur les jeunes feuilles. Je ne lui ai jamais qu'il m'arrivait de les dévorer. Je ne lui ai jamais dis que c'était bon. Elle préfère les border, elle a créé une nurserie pour elles. C'est une bonne sœur. Et moi...
Sous le rayon de lune il y a une couverture. Sous la couverture il y 'a une petite fille. Sous la petite fille, un matelas plein de punaises. Et sous le matelas, il y a un monstre. Et sous le monstre, le vide. Le vide jusqu'au soleil, le vide jusqu'aux constellations, le vide jusqu'au fond de nous, bien au fond, tout au fond. Mais ce n'est que pour elle. Moi, je vois juste l'ombre. Et sous mon lit à moi, il n'y a que de la poussière. Et la boîte. Et dans la boîte...
Elle a les genoux ensanglantés en rentrant de l'école. Elle a cueillie toutes les fleurs sur les chemins. Mais elle les a laissé sur le trottoir. Toutes molles. Toutes sales. Elle portait une barrette ce matin, mais maintenant, ses cheveux sont emmêlés. Il n'y a plus de barrette. Il n'y a plus de que ses yeux gris, ses mains ballantes. Je regarde les oiseaux sur les bancs. Je n'ai pas mon lance pierre.
Tant pis s'il y a du rouge partout sur la feuille. Tant pis si c'est juste un seul chiffre. Ce n'est pas grave, parce-qu'elle est intelligente quand même. C'est ce que je me tue à lui répéter, mais il ne veut pas arrêter de crier. J'ai mon lance pierre. Mais ça ne change rien. Un jour, je volerai toutes ceintures de cette maison. Je les volerai toutes et j'en ferai un tas. Et je brûlerai le tas. Et on dansera comme des indiens autour, et il y'aura un chant. Et dans la nuit, elle s'envolera. Blanche comme la fumée. Pourquoi ça ne pourrait pas être un oiseau de minuit ? Les hiboux chantent aussi. Ça me fait peur d'y penser. Je préfère tuer les oiseaux. Si c'est le bon qui chante je me retrouverai tout seul.
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