Le Pare-tempêtes
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Pantouffe
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CC N°5 Thème 42 : La maison à l'envers Empty CC N°5 Thème 42 : La maison à l'envers

Jeu 20 Sep 2018 - 15:53
PAR MALNIR

La vallée stérile s'ouvrait enfin devant lui, après un ultime virage de la route grise et poussiéreuse. Les flancs nus et gris des montagnes s’effacèrent de part et d'autre pour laisser la vue libre sur le vide infini de l'espace. Les nuées nébuleuses et colorées fleurissaient au dessus de leurs têtes dans un éventail de couleurs mauves et violacées. Les étoiles constellaient le ciel en si grand nombre que parfois elles formaient de grands halos fantomatiques et bleutés. Ce paysage fantastique gardait en toile de fond un néant lisse et noir, sans la moindre imperfection dans son abîme. En contrebas des falaises où s'étaient arrêtés un instant le voyageur épuisé par son périple, la Terre s'effritait et s'émiettait en astéroïdes gigantesques, en longs lambeaux de roc et en poussières. Le soleil, énorme et cramoisi, basculait sous l'horizon transparent, éclairant d'une lumière agonisante le Bord du Monde. Pourtant, la route continuait en serpentant, et atteignait les gouffres sidéraux. Là, elle se poursuivait en une passerelle branlante de bois blanchi par le temps. Et par delà la passerelle, elle aboutissait enfin sur le porche d'une haute et vénérable demeure flottant dans le vide, sans fondations ni sols sur lesquels tenir. On aurait pu la penser flottant sur l'eau limpide d'un lac.

La maison était vieille, ancienne. Antédiluvienne même. Ses façades de grès, couvertes de visages torturés et aveugles dans leur souffrance éternelle, flamboyantes, toutes en ogives, lancettes et pinacles, étaient piquetées de minuscules trous, comme si tout l'édifice avait été soumis aux attaques de milliards d'aiguilles. Parfois ceux-ci s'ouvraient en petits cratères, pareilles aux trous que laissent en cicatrisant les abcès sur une peau. La porte d'acier bleuie et violacée, martelée et ciselée en milles rinceaux et entrelacs ouvrait sur un intérieur nu et désolé. Les poutres des plafonds avaient depuis longtemps disparues, laissant le regard porter jusqu'au ciel visible, le toit s'étant pareillement volatilisé. Les cheminées restaient contre les murailles, ultimes vestiges des pièces qui autrefois avaient résonné des rires et des chants de nobles familles. Restait surtout un grand escalier à vis, inséré dans une haute tour d'angle s'achevant en longue flèche acérée, hérissée de gargouilles grimaçantes ou décapitées.

Le visiteur en loque, puisant dans ses dernières forces, entra et s'engagea dans les degrés qui descendaient sans fin dans un sol pourtant sans existence. Un vertige finit par le saisir et il lui sembla basculer de l'avant. Les marches flottèrent autour de lui pendant ce qui lui parut quelques secondes, et enfin il reprit un semblant d'équilibre, non sans avoir manqué dévalé en désordre les marches restantes. Il continua à descendre, ayant compris que son but était à présent atteint. Son vœu le plus cher l'attendait. Les textes anciens consultés dans les ruines des plus grandes bibliothèques des Cités Ravagées ne mentaient pas. Il existait donc une porte de sortie. Et ainsi il émergea à la surface, quittant l'escalier pour se retrouver dans la grande salle de la maison qu'il avait quitté. La lumière avait changée, il faisait chaud. Les couleurs ressortaient, avivées, et l'air lourd et figé. Les rayons solaires qui passaient par les carreaux des baies semblaient figés dans l'ambre. Levant les yeux, l'homme put contempler un beau plafond de bois peint, présentant la voûte céleste qui avait été celle de son monde des millénaires auparavant, quand celui-ci était encore jeune.

Le sol était dallé de marbre blanc et noir, couvert de tapis de belle étoffe bleu aux reflets argentés. Il fit quelques pas. Le bruit de ses bottes était étouffé, et lui arrivait comme en un échos lointain. Il arriva devant la grande cheminée au manteau sculpté de démons et d'anges entremêles en quelques terribles batailles. Le feu qui dansait sur les bûches s'était figé en une grande tempête enthousiaste, ses flammes s’entremêlaient hautes et puissantes, débordant de flammèches et pétillantes d'étincelles. Il se retourna vers le mur opposé, qui miroitait comme un l'eau étale d'un étang. Là courrait un autre escalier de beau chêne sombre, travail fin d'un ébéniste de talent. Il le monta lentement, son cœur battant lourdement dans sa poitrine opprimée. L'étage supérieur était une grande chambre aux murs couverts de bibliothèques garnies de lourds codex. Près du haut lit à baldaquins de velours pourpres trônait une harpe d'argent, et un homme transparent comme du verre en jouait lentement et avec application. Une voix grave l'enveloppa, mélodieuse, comme si les cordes de l'instrument en formait les mots ;
« Tu as enfin atteint le souvenir et le reflet de ton monde, pénitent. Tu as atteint son envers. Profite de son présent et songe à ton acte impie. »

Soudain l'homme recula, effrayé par son audace, pris d'un pieux effrois devant son acte. Il dévala les escaliers, sortit de la demeure de l'envers et se retrouva debout, contemplant la prairie qui s’étalait devant lui jusqu'aux sommets enneigés de montagnes, celles qui seraient les limites de son monde mourant. Son cœur cognait sourdement, puis, comme un tocsin lourd et funeste, battit trois longs coups. Au troisième, il s'effondra. Le sol se déroba, il le traversa en tourbillonnant dans les ténèbres, jusqu'à brutalement butter contre la marche d'entrée. Quand il releva la tête, tremblant, en sueur, le visage en sang et commotionné par la chute, la ruine sinistre de la Demeure au Bord du Monde le toisait depuis les visages à demi-effacés de ses statues et ses hautes ogives nues. Sa porte d'acier s'était fermée. Les légendes qui l'avaient attiré ici n'étaient que mirages et espoirs vains. Rien ne pouvait être réécris ni revécu. Sa vision perdit de sa netteté et il sombra lentement dans le Néant.
Pantouffe
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Jeu 20 Sep 2018 - 15:53
PAR MÉLODIE

Nous étions nombreux dans les sous-terrains. Mais la maison 42, c'était la nôtre. Oui, seulement 42, pas 42 645 725... Seulement 42.
Vous voyez, nous sommes une lignée, une famille.
Et je suis le dernier.
L'ancêtre qui a creusé cette maison était un original... Un type qui a décidé d'utiliser le sarcasme contre un monde trop bizarre. Quand il a fallu se réfugier sous terre, -en tout cas, c'est ce que dit la légende familiale-, il aurait déclaré que puisque le monde marchait sur la tête, il construirait sa maison comme cela. En cochon pendu.
Et la roche a tenu le coup.

Je travaille depuis vingt ans. Aujourd'hui, personne ne veut vivre dans la maison 42. Mes deux frères ont une petite femme, et ont prétendu qu'ils devaient absolument vivre ailleurs. Ma mère ne quittera plus l'hôpital, et mon père, vous savez déjà comment il a fini... Je ne veux pas connaître son sort, mais-

"Messieurs, je vis seul dans la maison 42. Je déclare solennellement ne pas avoir de descendance, et cette maison est la seule possession qui me tienne réellement à cœur. Cette bâtisse dont personne ne veut, qui est quasiment à l'état d'abandon car je répare moi-même ses failles, c'est toujours la maison que j'ai vue comme mon foyer. Je ne m'imagine pas vivre ailleurs. Vous voyez j'ai déjà essayé, j'ai vécu dans la maison 634 848 mais je ne peux pas, moi sans ma maison, je... Je dépéris ! Vous comprenez ? Parce que...
- Venez-en au fait !
- Messieurs, je vous supplie de ne pas détruire la maison 42. Je peux combler la trappe de la cave, je le ferai sous surveillance policière s'il le faut. Nous ignorions l'existence de ce passage, nous ne sommes jamais sortis.
- Une procédure sera lancée. La maison dont vous parlez doit impérativement être murée. Vous nous faites perdre notre temps !
- Non, ne faites pas ça ! S'il vous plaît !
- Rabotnik Alçor, est-ce à dire que vous savez ce que je devrais faire ? tonne le régent.
- Monsieur, s'il vous plaît... Messieurs, dites-lui...
- Votre temps est écoulé, Rabotnik ! Vous serez logé en cellule d'attente et interrogé au sujet de cette "cave". Retournez immédiatement à votre place.
- Non !
- Non ?
L'inspecteur fit une pause.
Rabotnik Alçor, savez-vous ce à quoi vous vous engagez ?
- Je ne veux pas... S'il-vous-plaît, laissez-moi expliquer ! Je- "
Il s'interrompit en constatant le silence pesant qui régnait dans la galerie. Sa voix semblait démesurée et infiniment seule. Il lança un regard désespéré aux juges. "Je vous en prie" croassa-t-il encore.

Le rabotnik qui me parle sourit amèrement.
"Les ouvriers étaient déjà en marche. Qu'est-ce que j'aurais pu faire ?
J'ai conduit la bétonnière, en sachant qu'on me voyait, chaque geste. Devant moi, le vertige de 5 689 jours à venir."
Pantouffe
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Jeu 20 Sep 2018 - 15:54
PAR PANTOUFFE

Quelques années de poussière. Quelques années de soleil. Des jours sinueux et convulsifs qui s'acheminaient dans le dédale poreux du temps, des jours élastiques aux heures gymnastes, souples, ou parfois compactes, parfois liquides. Il y avait eu des moments qui filaient comme des colibris sous mon nez, qui m'éclataient entre les doigts comme des bulles de savon. Il y en avait eu d'autres, bourbeux, épais, semblables à la guimauve parfumée qui s'étire dans certains stands forains. Leur nature m'était indifférente, je ne cherchais pas à leur échapper. J'avais mes préférés, mais ça s'arrêtait là. Je les vivais avec fatalité, je les laissais couler sur moi ou m'écraser. J'étais complaisant et poreux, perméable aux vents, à la lumière, j'ondulais dans la brise rance qui s’insinue sous terre, simple volute de chair, filament d'humanité pétris par la misère. J'avais la transparence de la rosée, j'étais du peuple des feuilles mortes.
Et les pas de passants me soulevaient dans l'espace. Je me plaquais à leurs regards fuyants, à leurs corps fuselés par la course, je m'insinuais entre leurs doigts, me scotchait à leurs jambes. Je m'accrochais à leur visage anfractueux, j'empoignais leurs cheveux, la crispation de leur bouche, je me cramponnais à leur attaché-case, aux plis de leur costumes, je m'enroulais dans leurs narines quand ils inspiraient la pollution de la ville. J'étais une fumée qui les suivait, qui imprégnait la texture de leur chair, de leurs vêtements, une odeur épinglée à leur peau. Le fatras de mes membres restait là dans un coin, mais mon esprit s'agrippait à ce quelque chose d'attractif qu'ils transportaient dans leur empressement tout citadin ; que ce soit un bout de gueule qui attirait le regard, une attitude ou un vêtement. Ils avaient tout ça sur eux, et un état d'esprit qui s'exprimait dans leurs mouvements d'horloge, mis en exergue par leur course d'insecte. Ils filaient dans les sous-terrains orduriers du métro, comètes indifférentes débordants de symboles, de fragments, qu'ils traînaient sur eux sans y faire attention. Mais pour moi ça tintait comme une cape de fer blanc qui suivait derrière eux. Ils tintinnabulaient de signes porteurs de sens- ils ne voyaient pas combien leurs traits et leurs manies racontaient des histoires. Mais moi je les lisais. Il y avait leurs vêtements bien sûr. Leurs cheveux, leur carrure, toute la comédie des apparences qui s'exhibait nonchalamment, c'était là, comme de juste. Mais il y avait aussi la posture. L'attitude et le rythme auquel palpitaient leurs paupières et leurs veines, la manière dont ils occupaient leurs mains. Est-ce que leurs tympans étaient remplis de musique, nourris au décibel par des écouteurs qui leur bourgeonnaient à l'oreille comme des bulbes gras ? Est-ce qu'ils voulaient plutôt écouter les bruits de baleine que font les trains qui courent ? La cadence de leur respiration, et puis celle de leur marche écrivait bien des choses. Ils inscrivaient leur prose dans le ballet des guiboles et des bras balançant. Si je pouvais capter ça, alors je voyageais avec eux dans leur vie. J'étais le passager clandestin de leurs souvenirs, embarqué pour un temps, jusqu'au prochain débarquement au port malfamé de la réalité. Rien qu'un moment d'oublie à prétendre connaître leur existence en les extrapolant à partir d'informations furtives. Et ça faisait mes journées ! Ça les faisait longues ou fugitives, émouvantes et brutales. Je caracolais dans leur crâne. C'était bien, c'était beau. Il y avait de l'espace, assez d'espace pour me perdre de vue, pour me glisser dans les ombres, dans un habit de vinyle... C'était bien mieux à l'intérieur du costume. Plus ample et plus confortable que dans les angles de mon corps. C'était la misère là-bas, c'était sec. On s'y ennuyait ferme, on avait faim et soif- ll n'y avait pas la télé dans mon corps. Pas l'eau courante, ni la bouffe, ni la famille, ni de tendres cabots ou de félins onctueux aux flancs soyeux, aucun petit plaisir cacaoté, c'était fade et gris, c'était creux. Alors que chez eux ! Ça crépitait ! Et c'était dense !C'était plein, c'était habité d'une âme, ça avait assez d'épaisseur pour pouvoir ressentir et penser à autre chose qu'à la faim ! C'était tout un spectacle.
Ils avaient emmagasiné la chaleur de leur bain, l'amour de leurs gamins, de leurs parents et de leurs animaux. Ils avaient les ondes de leurs écrans et de leurs appareils ménagers entrelacés au corps, bourdonnement d'informations qui leur pinçait les nerfs. Ils vibraient d'une douce musique qui parlait de confort et de facilité. C'était d'une banalité follement exotique pour moi. En m'appropriant leur figure et leurs gestes par la contemplation, le pénétrais leur demeure, vaisseaux ouatés dans le torrent des villes, et c'était chaque fois un pays étranger.
Sans parler des étreintes qu'ils avaient eu. Abyssales. Je m'y engloutissais, je les imaginais profondes et goulues, des étreintes de matrone, des étreintes qui vous digèrent... Et des caresses aussi, je leur prenais des caresses. Des caresses gentilles, douces, comme on en donne aux enfants. Des caresses perverses également, quand j'en avais besoin. Quand c'était affectueux, je leur prenais. J'évitais les coups, ça, je connaissais déjà. Mais je ne leur laissais pas les engueulades, car elles étaient dépaysantes aussi.
Chérie tu rentres tard, chérie les chiottes sont sales, chérie t'as des enfants, les oublie pas connard, chérie la bouffe est dégueu, même à moitié digérée elle sera meilleure en bouche quand je la vomirais, tu ne fais pas des efforts, tes affaires traînent, tu pues de la gueule, chérie chérie chérie. Ta gueule chérie ? Pardon chérie. Oh ma chérie, mon amour, mon bébé. Ma bonne tarte, ma bonne poire.
Et ils baisaient dans leurs draps. Ils faisaient des enfants qui seraient plein de névroses. Ils allaient au travail- ils se rasaient ou ils se maquillaient le matin, ils avaient les joues douces, qui débordaient de l'os. Leur bouche avait le goût de la nourriture onctueuse, leur langue était comme du pâté très riche. J'aimais leur salive pleine de glucose, leur corps exsudant un constant surplus de sucre... J'imaginais leurs assiettes décorées pleines de steaks et les canapés où ils diluaient leur fatigue, au sein desquels ils allaient immerger leurs craintes solubles, sans savoir qu'il existait des peurs inexorables qui vous dévore jour et nuit. J'avais la tête posée sur les genoux de leurs mères et de leurs maîtresses. Je dormais dans les bras gluants de leurs amants.
Et puis je retournais à mon corps. Vieux tas de parchemins et d'ivoire renié par les archives et les musés du monde. Là où on avait écris trop de choses, tellement de choses qui se bousculaient, me couturaient le cœur, que j'avais finis par déborder, et que mes propres débordements ingérables, les flots pétroleux qui suintaient et giclaient, m'avaient emporté dans l'océan du monde. J'avais glissé dans les rivières de l'oublie. Jusqu'aux nappes phréatiques où viennent s'accumuler les ordures portées par le courant. Là où l'on pouvait croupir en paix en attendant l'hiver, une toux, une matraque, un canif, une étreinte de la rue ; en marge de flux sans cesse renouvelé des pirogues-humaines, hâtives, gracieuses et chamarrées.
Mais peu importe. Je ne vis pas là, au milieu de mes membres, de mes os et de ma puanteur, avec la peau et le vent sur le dos. J'habite autre part qu'en moi même. C'est un endroit absurde là où j'habite. C'est très vain et souvent narcissique, mais j'aime bien... On y est anesthésié. On y voit plus grand chose. C'est même mieux : on peut choisir d'y voir et d'y entendre.
Et quand on ne le veut pas, on change de chaîne. On ferme la fenêtre d'une pression du doigt. On détourne les yeux, on accélère le pas.
La vie des autres est ma deuxième maison, et elle a l'envers. Mais je préfère encore le vertige à l'ennuie.
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Jeu 20 Sep 2018 - 15:56
PAR THED


~~~~~~ La Maison À L'Envers ~~~~~~

Comme tous les mardis matins, Liliane se réveilla à sept heures quarante-huit, dès la première sonnerie de son réveil. Cela faisait bientôt sept ans qu'il en était ainsi, et elle ne comptait pas changer de sitôt. Le lundi, c'est huit heures douze, le mardi, sept heures quarante-huit, le mercredi, sept heures cinquante-quatre, le jeudi, c'est comme le mardi, le vendredi, c'est huit heures trois, et le week-end, c'est comme le mercredi, sauf le dimanche, qui est comme le jeudi, qui est comme le lundi. N'allez pas lui demander pourquoi, c'est comme ça, et puis c'est tout. Tout était programmé dans sa semaine, et chaque semaine était comme la précédente, et comme la suivante, et ce, depuis bientôt sept ans, donc. De temps en temps, Liliane prenait des vacances, et alors elle prenait sa voiture, et elle filait loin de chez elle, loin, loin, loin ! Et pour plusieurs semaines ! Il était d'ailleurs prévu qu'elle en prenne dans quelques mois - deux ou trois, tout au plus. Il faut dire que les dernières remontaient maintenant au mois de mai, presque deux ans auparavant.
Liliane se leva donc, s'assit sur le bord gauche du lit, tendit la main pour éteindre le réveil... tendit la main... Mais ! Mais enfin ! Le réveil ! Il a disparu ! Il sonne pourtant bel et bien, elle l'entend bien, pourtant ! Liliane tourna la tête vers l'autre côté du lit, et s'aperçut, ébahie, que le réveil était du mauvais côté du lit, ainsi que la table de nuit, d'ailleurs. Et l'armoire. Elle ne comprenait pas ce qui se passait là, c'est comme si... tout était... à l'envers ? Elle se leva, péniblement, fit le tour du lit pour éteindre le réveil et se dirigea vers les cabinets, comme à son habitude, mais pas tout à fait quand même, car tout, vraiment tout, était désormais à l'envers dans sa maison. Mais par quel coup du sort cela pouvait-il bien arriver ? Ayant terminé d'uriner, elle tendit la main vers le papier toil... où est-il ? Ah oui, c'est vrai, à l'envers. Vers le papier toilette, donc, s'essuya, et sortit des toilettes pour tourner directement à gauche dans... le mur. Oui, à l'envers. Ça a au moins le mérite de réveiller. Elle prit donc sa douche, méditant sur ce qui lui arrivait aujourd'hui. Elle était toujours pensive pendant qu'elle se séchait, et comme à son habitude, remonta l'escalier, toujours pensive, afin d'aller s'habiller dans la chambre. Elle en ouvrit donc la porte, et - ah merde, c'est le placard à balais. À l'envers, oui, à l'envers. Elle ne s'y ferait jamais.
Elle entra donc dans sa chambre, se dirigea vers l'armoire, tout en se demandant bien comment elle allait pouvoir tout remettre dans le bon sens. Ça lui prendrait des heures ! Pire qu'un déménagement ! Elle continuait à s'habiller, tout en cherchant son téléphone du regard, et le trouva bien sûr à l'opposé de l'endroit usuel, elle devait en parler à quelqu'un, elle n'était quand même pas folle ! En plus, l'heure continuait à tourner, et avec tout ça, elle allait finir en retard ! Avant de passer le coup de fil, il fallait qu'elle note de penser à acheter des fleurs pour l'anniversaire de sa sœur, dans deux jours, sinon elle allait oublier. Elle s'empara donc d'un stylo et de son agenda, et y nota donc "fleurs - Pascale" sur la page du mercredi, 18 heures, la fleuriste étant tout juste en face du travail. Elle reposa son stylo avant de marquer un temps d'arrêt. Elle avait encore la main au-dessus du crayon mais c'était... la main gauche ! C'est comme si du jour au lendemain, tout son monde avait changé de sens, et elle avec ! Elle se regardait plus en détails dans le miroir de l'armoire, et effectivement, le grain de beauté qu'elle avait à la base du coup, plutôt sur le côté droit était désormais plutôt à gauche. Déconcertée, elle s'empara donc du portable et appela sa sœur. Elle devait lui raconter tout ça au plus vite ! Découvrir la cause de tout cela, savoir si sa sœur était également touchée !
Pendant que ça sonnait, elle observait par la fenêtre la rue et les alentours, et tout lui semblait normal, dans l'ordre, aussi paisible qu'à son habitude. Ce phénomène ne toucherait donc qu'elle ? L'appel restait toujours sans réponse, et elle fut accueillie par l'habituel : "Saluuut, c'est Pascaaleuuh, je ne suis pas là, mais lai-". Elle allait retaper le numéro lorsqu'elle reçut "attends, 1 min, bébé. te rappelle" en provenance de sa sœur. C'est vrai, à cette heure-là, elle allaite son petit Florian. Il est trop chou, Florian, avec ses petits "babebibibou", du haut de ses soixante-douze centimètres (déjà !) et quinze mois. Elle s'assit sur le lit, poussa un gros soupir, et se demanda comment elle pourrait bien gérer tout cela aujourd'hui, combien de temps ça durerait, et comment ça avait pu arriver, et elle cherchait la réponse à toutes ses questions lorsque la sonnerie retentit.
Sept heures quarante-huit. Comme tous les matins, Liliane se réveilla dès la première sonnerie. Plus alerte que jamais, elle bondit sur ses pieds et constata que tout était bien à sa place, l'armoire, le réveil, la table de nuit, tout ! Elle ouvrit donc les rideau, soulagée, pour faire rentrer le soleil dans cette chambre, toute guillerette, se remettant peu à peu de ce rêve fort déstabilisant et angoisse. Elle observait la nature alentours, et l'arbre du voisin, et le vent dans les feuilles, un large sourire sur le visage, ce tableau lui mettait un baume au cœur, après toute cette détresse onirique. Mais. Mais que faisait la voiture de Monsieur Pichon en face de... sa maison... Mais...
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