CC N°22 Thème 14 : Forgé par les flammes
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- Pantouffe
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CC N°22 Thème 14 : Forgé par les flammes
Sam 29 Sep 2018 - 22:31
Bah non
- Malnir
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Date d'inscription : 18/09/2018
Re: CC N°22 Thème 14 : Forgé par les flammes
Sam 29 Sep 2018 - 23:55
Forgé par les flammes
Il faisait sombre dans la chambre, une obscurité bleuté nappait les murs couverts d’affiches, les étagères garnies de livres, le bureau enfoui sous un désordre de feuilles, de mouchoirs et de figurines, et bien sûr le lit où se blottissait le jeune Loga. Un seul rais de lumière dorée venait se refléter dans ses yeux mi-clos, filtrant de dessous la porte fermée. Il entendait, assourdies, les voix de ses parents à l’étage inférieur. Dans l’obscurité, sa peau était caressée par les couvertures épaisses et douces qui frottaient à chaque mouvement, et sa tête s’enfonçait dans son oreiller. Il se sentait doucement plonger dans les sommeil, les yeux brûlants de fatigue. Peu à peu il perdit conscience de ce qui l’entourait et s’endormit.
Il se réveilla en sursaut au beau milieu des flammes, quand elles commencèrent à le lécher. Il repoussa en un cris inarticulé la couverture en feu, sauta au bas de son lit. Sa chambre n’était plus qu’un brasier et il se brûla instantanément les pieds. Son pyjama le brûlait, couvert de flammèches, et il ne distinguait plus la porte au travers des rideaux écarlates et chatoyants. Seule la fenêtre était à sa portée, ce carré de ténèbres fraîches dans laquelle il rua pour échapper à la fournaise. Il brisa la vitre et s’écrasa dans la pelouse du jardin. Une douleur sourde traversa ses jambes, son poignet droit et sa poitrine, et il perdit connaissance.
Ainsi fut-il. L’incendie lui ôta ses deux parents, son toit. Il lui offrit son baiser ; la face droite du visage parcourue d’une plaie purpurine, pleine de craquelures suintantes et humides, remontant jusqu’à la naissance de ses cheveux roux, et qui avait lacéré ses traits jusqu’à en faire deviner les os. Ses bras et ses jambes portaient de nombreuses marques de même aspect, et il boitait légèrement depuis sa chute. Il passa trois semaines à l’hôpital, dans une chambre si blanche que ses yeux noirs et larmoyants ne pouvaient voir qu’en ombres furtives les visiteurs qui venaient changer ses bandages et le nourrir, puis on l’envoya chez ses grands parents chez qui il acheva de grandir.
Il devint un adolescent élancé, dégingandé et sombre. Une silhouette menaçante autour de laquelle naissait un silence inquiet. Et il sentait les regards se poser sur son visage dévasté, craindre sa démarche boiteuse mais impavide. Il sentait une crainte mêlée de dégoût chez les autres élèves du collège, et il les haïssait en retour. Quand il finissait les cours il partait à travers les champs sur les petits chemins de terres, dans le crépuscule. Il laissait les herbes le caresser, la lumière le barbouiller et faire disparaître ses plaies dans sa peinture carmine. Et il laissait son esprit hurler sa colère et son désespoir, et ses yeux humides se gonflaient de petits ruisseaux brûlants et salés. Il rentrait chez ses grands parents refermé sur lui même, et n’échangeait pas plus de quelques mots. Sa gestuelle était nerveuse, précise, pointue. Souvent il restait éveillé jusque tard, étendu sur le plancher frais, et ne s’endormait que rarement dans son lit. Il avait en horreur ces draps lourds, trop chauds, ce matelas trop moelleux et cet oreiller qui le faisait transpirer. Il préférait la dureté et la froideur du sol. Lorsque l’aube cendreuse venait filtrer par la mansarde, il ouvrait des yeux injectés de sang, et se levait pour une nouvelle journée.
Au début, tous craignaient qu’il ne finisse par disparaître ; ils avaient vu en lui une petite brindille brûlée, charbonneuse, prête à se désintégrer en poussières. Mais il se renforça. Son corps noueux grandit, prit en volume et en forces, sa face gauche se dessina en traits fins et racés, la droite demeurait labourée de sillons cramoisis. Ses cheveux poussèrent en boucles lourdes et volumineuses avec les années, et cascadèrent autour de son visage en une évocation de flammes dansantes. Elles lui rappelaient celles qui lui avaient tant pris, et il les détestait, mais elle lui donnait un « style » et masquait ses cicatrices, alors il les laissa. Quand un duvet orange vint ombrager sa mâchoire, il le laissa dans le même but. Et puis passer un rasoir dessus était douloureux là où les brûlures s’étendaient. Au lycée, il attirait des regards chargés d’étonnements et d’inquiétudes, et il appréciait cette nouveauté. Il portait des vêtements noirs fuligineux, amples, apprit à jouer de ses silences et de sa voix sourde et rocailleuse. Il n’était pas une brindille mais du bon fer ; le feu l’avait transformé mais pas détruit.
Son intelligence impressionnait les professeurs. C’était une dague d’acier damasquinée, dont le tranchant séparait nettement le dit du non-dit, le vrai du faux, l’exact de l’incertain. Son monde était un monde de lumières crues et d’ombres franches. Il n’y avait guère que les épreuves de chimie où le feu avait sa place où il ne pouvait rien. Il restait prostré devant le bec à gaz, les mains moites et tremblantes, et on lui trouva bien vite d’autres activités.
Ce fut à cette époque qu’il se fit enfin des amis, les premiers depuis l’incendie. Les choses brisées par la vie, les âmes écorchées se groupèrent autour de lui, dont l’aspect intimidait et éloignait les tourmenteurs. Il fut enfin heureux, et son esprit si dur, si aride et rigoureux, connut à douceur et la joie sans mélange. Et alors il s’éveilla à la sensualité. D’abord dans sa propre intimité, où il explora avec surprise puis avec sa rigueur coutumière son corps nouvellement métamorphosé, s’aventurant jusqu’en des lieux ravagés par les flammes, et où il redécouvrit d’autres sensations que la douleur. Puis il envisagea différemment ceux qui l’entouraient ; les filles lui parurent soudain désirables, qui n’avaient que peu de rapports avec ce que lui évoquaient les garçons. Il lui semblait que leurs peaux satinées, leurs seins aux douces courbes, leurs jambes fuselées, leurs gestes, évoquaient chez lui une fraîcheur, la douceur des vagues d’eau épaisse d’un étang. Il se mit à rêver de ces mains délicates qui lui apporteraient cette sensation mouillée et froide, qui éteindraient pour un instant ses blessures.
En entrant à l’université, il rencontra Alice. Aussi grande que lui, elle lui évoqua immédiatement avec ses cheveux aile de corbeau, ses yeux bleu céruléens, l’océan. Il aimait l’océan, il aimait les galets glissants d’algues gluantes, les couleurs vives des anémones, cette eau limpide et glacée sur ses pieds et le vent vif. Il aimait la lumière du soleil dans le ciel au dessus de l’océan. Alice était comme un océan féminin, une extension sensuelle et érotique. Il la désira immédiatement. Il n’était pas beau, mais avait un espèce de charisme qui faisaient oublier les cicatrices. Il l’aborda, elle ne le repoussa pas, et ils se lièrent d’amitié. Ils se retrouvèrent souvent côte à côte dans les amphithéâtres, puis sur les bancs dans les parcs. Et un jour il prit décida qu’il était temps d’aller plus avant. Il l’invita à dîner le soir même, et elle accepta. Pour l’une des premières fois depuis des années, il fut véritablement troublé.
Ils dînèrent dans une alcôve d’un restaurant de quartier, et restèrent à discuter jusque si tard qu’il l’invita à rester dormir pour la nuit, et ensemble ils marchèrent dans les rues de la ville jusqu’à son immeuble, ils montèrent dans la pénombre les escaliers jusqu’à son appartement, et entrèrent. Il mit de la musique, sorti des verres propres qu’il disposa devant son canapé-lit. Vainquant la crainte du feu qu’il avait, il alluma une bougie qui instilla une ambiance ambrée, tamisée entre eux. Il lui servit un verre… un deuxième. À moment donné, il lui sembla que le moment était venu. Il se pencha en avant pour l’embrasser… et elle recula légèrement. Il s’interrompit. Il la regarda, elle lui rendit son regard, une expression un peu triste au coin des lèvres.
« Loga je suis désolé… tu es beau. »
Elle prit la bougie et l’éleva à hauteur de leurs deux visages. La flamme dansait, couchait sur le côté gauche du jeune homme un clair-obscur doux. Elle fit passer la bougie du côté droit, et révéla aussitôt les cratères, les fissures et les failles hideuses qui luisirent comme des serpents dans la pénombre.
« Mais que dire d’un soleil qu’une bougie défigure ? »
- Silver Phoenix
- Messages : 134
Date d'inscription : 27/08/2018
Age : 26
Re: CC N°22 Thème 14 : Forgé par les flammes
Dim 30 Sep 2018 - 0:02
Sa fin était proche.
Le vieux phénix battait des ailes encore et encore. Les flammes dorées jaillissaient de son corps d'aigle robuste, embrasant les nuages. De longues traînées de lumière blanche contrastaient fortement avec la sombre couleur grise du ciel, présageant un puissant orage d'ici les prochaines minutes. Les montagnes étaient, malgré le temps chargé, éclairées comme par le Soleil.
Un Soleil mourrant.
Le phénix se remémorait de sa vie. Il avait vécu des milliers d'années, assistant à la naissance et au déclin de civilisations entières et aux changements climatiques. Les humains... Quelle drôle d'espèce, se disait-il. De nombreuses cultures lui vouaient un culte, le mettant à égalité avec le Soleil. Un emblème de puissance pour certains, un symbole de renaissance pour d'autres. Ces mêmes cultures s'entretuaient dans des guerres fratricides, s'affaiblissaient et se détruisaient progressivement, jusqu'à disparaître définitivement dans les flammes.
Le phénix ne comprenait pas vraiment cette vénération. La plupart du temps, il était reclus dans les montagnes ou les vallées. Rares étaient les humains à l'avoir aperçu. Mais tout cela n'avait plus d'importance désormais.
L'oiseau de feu descendit en piqué vers les basses montagnes, recherchant de la végétation. Il décrocha des grosses branches d'arbres grâce à la seule force de son bec pointu. Il reprit de l'altitude, les ailes battant à un rythme rapide et soutenu, puis posa les branches sur le sol bosselé et rocheux. Il devait faire vite, la fatigue gagnait de plus en plus le rapace enflammé. Il pensa tristement qu'il se réveillerait sans aucun souvenir, comme si sa vie était futile. Il avait pourtant vécu tellement d'évènements...
Tout cela sera consumé dans les flammes, pensait le vieux phénix. Il était condamné à passer d'autres vies qui dureront plusieurs milliers d'années, jusqu'à la fin des temps. Son immortalité lui semblait inutile.
Il arrangea les branches avec ses serres, en les superposant les unes par rapport aux autres. Il se plaça ensuite devant le nid rudimentaire, et agita plus violemment ses ailes, intensifiant les flammes le recouvrant, pour incendier le bois et les feuilles. Le phénix contempla le fruit de son travail de ses yeux d'or perçants. Il était l'heure. Bien qu'il allait renaître, il avait pourtant l'impression qu'il disparaîtrait pour l'éternité. Par le feu dans lequel il était forgé.
L'oiseau se sentit prêt.
Dans une ultime danse, le phénix battit puissamment des ailes dans une cadence infernale. Les flammes s'amplifièrent jusqu'à former une enveloppe de lumière autour du phénix mourrant. Elles étaient si chaudes, si dévastatrices, que la roche commençait à fondre. Sentant son propre corps se détruire, il poussa un hurlement d'agonie déchirant le silence habituel des montagnes. La lumière d'une intensité sans égal, formait un semblant de Soleil, illuminant les versants des monts.
Tout ce processus n'avait duré qu'un instant. La lumière s'amenuisait, laissant les ténèbres reprendre sa place initiale. Le calme était revenu. Quelques flammes subsistaient dans l'ancien nid. Un oisillon s'y trouvait, entouré de quelques plumes rougeoyantes et de cendre noire. Il émit quelques petits cris rauques, peu audibles, tandis que les premiers éclairs foudroyaient les montagnes.
Une nouvelle vie l'attendait.
Le vieux phénix battait des ailes encore et encore. Les flammes dorées jaillissaient de son corps d'aigle robuste, embrasant les nuages. De longues traînées de lumière blanche contrastaient fortement avec la sombre couleur grise du ciel, présageant un puissant orage d'ici les prochaines minutes. Les montagnes étaient, malgré le temps chargé, éclairées comme par le Soleil.
Un Soleil mourrant.
Le phénix se remémorait de sa vie. Il avait vécu des milliers d'années, assistant à la naissance et au déclin de civilisations entières et aux changements climatiques. Les humains... Quelle drôle d'espèce, se disait-il. De nombreuses cultures lui vouaient un culte, le mettant à égalité avec le Soleil. Un emblème de puissance pour certains, un symbole de renaissance pour d'autres. Ces mêmes cultures s'entretuaient dans des guerres fratricides, s'affaiblissaient et se détruisaient progressivement, jusqu'à disparaître définitivement dans les flammes.
Le phénix ne comprenait pas vraiment cette vénération. La plupart du temps, il était reclus dans les montagnes ou les vallées. Rares étaient les humains à l'avoir aperçu. Mais tout cela n'avait plus d'importance désormais.
L'oiseau de feu descendit en piqué vers les basses montagnes, recherchant de la végétation. Il décrocha des grosses branches d'arbres grâce à la seule force de son bec pointu. Il reprit de l'altitude, les ailes battant à un rythme rapide et soutenu, puis posa les branches sur le sol bosselé et rocheux. Il devait faire vite, la fatigue gagnait de plus en plus le rapace enflammé. Il pensa tristement qu'il se réveillerait sans aucun souvenir, comme si sa vie était futile. Il avait pourtant vécu tellement d'évènements...
Tout cela sera consumé dans les flammes, pensait le vieux phénix. Il était condamné à passer d'autres vies qui dureront plusieurs milliers d'années, jusqu'à la fin des temps. Son immortalité lui semblait inutile.
Il arrangea les branches avec ses serres, en les superposant les unes par rapport aux autres. Il se plaça ensuite devant le nid rudimentaire, et agita plus violemment ses ailes, intensifiant les flammes le recouvrant, pour incendier le bois et les feuilles. Le phénix contempla le fruit de son travail de ses yeux d'or perçants. Il était l'heure. Bien qu'il allait renaître, il avait pourtant l'impression qu'il disparaîtrait pour l'éternité. Par le feu dans lequel il était forgé.
L'oiseau se sentit prêt.
Dans une ultime danse, le phénix battit puissamment des ailes dans une cadence infernale. Les flammes s'amplifièrent jusqu'à former une enveloppe de lumière autour du phénix mourrant. Elles étaient si chaudes, si dévastatrices, que la roche commençait à fondre. Sentant son propre corps se détruire, il poussa un hurlement d'agonie déchirant le silence habituel des montagnes. La lumière d'une intensité sans égal, formait un semblant de Soleil, illuminant les versants des monts.
Tout ce processus n'avait duré qu'un instant. La lumière s'amenuisait, laissant les ténèbres reprendre sa place initiale. Le calme était revenu. Quelques flammes subsistaient dans l'ancien nid. Un oisillon s'y trouvait, entouré de quelques plumes rougeoyantes et de cendre noire. Il émit quelques petits cris rauques, peu audibles, tandis que les premiers éclairs foudroyaient les montagnes.
Une nouvelle vie l'attendait.
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